La mort de David Bronstein
Le grand-maître d’échecs russe David Bronstein est mort, mardi 5 décembre à Minsk (Biélorussie), à l’âge de 82 ans. Chauve, les yeux abrités derrière de grosses lunettes, le visage expressif, David Bronstein était l’antithèse de son compatriote et plus grand adversaire, le champion du monde Mikhaïl Botvinnik, dont il fut le challenger en 1951, à Moscou. Botvinnik était le prototype de l’Homo sovieticus rêvé par Staline : russe, ingénieur et auteur d’une thèse de doctorat en électricité, austère partisan d’une approche scientifique des échecs, technicien hors pair. A l’inverse, Bronstein, né à Bila Tserkva, près de Kiev, le 19 février 1924, remettait du romantisme et de la vie dans le jeu, spécialiste de brillants sacrifices, tentant des coups surprenants qui déstabilisaient ses adversaires. Il donna notamment ses lettres de noblesse à la défense est-indienne, alors considérée comme une ouverture de deuxième catégorie, et qui fut ensuite adoptée par les attaquants Bobby Fischer et Garry Kasparov.
David Bronstein décrocha le titre de maître soviétique à 16 ans et, après la Deuxième Guerre mondiale, progressa rapidement vers le premier plan échiquéen. Il devint évident, lorsqu’il remporta en 1948 et 1949 le championnat d’URSS, qu’il serait un sérieux candidat pour le titre mondial. Son match en 24 parties contre Botvinnik, en 1951, certes truffé d’erreurs de part et d’autre, fut une magnifique bagarre. Mené d’un point à deux parties de la fin, Botvinnik réussit à refaire son handicap dans la 23e partie, grâce à sa technique sans faille, et la confrontation se termina par un match nul, 12 points partout. Le réglement prévoyait qu’en cas d’égalité le champion du monde conserve son titre. Bronstein n’eut pas de seconde chance, comme s’il ne s’était pas remis de ce match au cours duquel, reconnut-il par la suite, il fut soumis à « une forte pression psychologique », sans doute parce que son père avait connu le goulag mais surtout parce que Botvinnik était chéri par le système soviétique.
Auteur d’un des plus célèbres ouvrages sur les échecs, L’Art du combat aux échecs (Payot), dans lequel il analyse l’interzonal de Zurich 1953 non pas tant en débitant des variantes compliquées qu’en expliquant les idées cachées derrière les coups, en mettant le lecteur dans la tête d’un grand maître, Bronstein continua à gagner des tournois mais sans plus jamais flirter avec les sommets. Il se fit une nouvelle fois remarquer des autorités soviétiques en 1976 en refusant de condamner publiquement Viktor Kortchnoï après que celui-ci eut demandé l’asile politique aux Pays-Bas. Par mesure de rétorsion, Moscou lui interdit d’aller jouer à l’Ouest pendant longtemps.
David Bronstein, au cours des dernières années de son activité, avait souvent participé à des matches contre les ordinateurs, faisant preuve, malgré son âge avancé, d’une imagination intacte et d’une absence totale de complexe vis-à-vis de la machine. Par un hasard du calendrier, il est mort le jour même où, à Bonn, le champion du monde Vladimir Kramnik subissait une cuisante défaite (4 points à 2) face au logiciel Deep Fritz.
4 commentaires:
Quelle grande perte pour le monde échiquéen ! Pour ceux qui veulent (re)lire les citations de ce géant des échecs, je vous conseille le lien suivant qui répertorie également de nombreux autres auteurs:
http://diccit-echecs.awardspace.com/
Merci MONSIEUR BRONSTEIN !
Bronstein avait écrit dans son livre sur l'Est-indienne "essayez d'analyser sans bouger les pièces et sans l'assistance d'un ordinateur!" un conseil primordial s'il on veux progresser aux échecs.
Un grand merci à feu M Bronstein pour son immense livre "l'art du combat aux échecs"
Dans ta chronique tu parles des pressions psychologiques lors de son championnat du monde, serais-tu nous en dire davantage?...
Serge V
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