01 février 2007

C'est fini...

C'est toujours difficile une rupture. Autant, donc, y aller carrément. Ceci est la dernière note d'Echecs Info. Et vous êtes en droit de savoir pourquoi. Echecs Info, tel que je le concevais, et tel que je vous le servais, c'était un exercice journalistique au quotidien, c'était écrire (presque) tous les jours un article sur les échecs et leur actualité. Je me suis aperçu, au fil des semaines (et des mois si on ajoute mon blog précédent) que cela représentait beaucoup de travail si l'on voulait proposer un résultat bien élaboré et correctement écrit. En moyenne une heure et demie par article, un peu plus pour les analyses de parties. Or, je viens de prendre la tête du service Sciences et Environnement du Monde et le temps que je chipais, pour vous, dans les interstices de mon agenda, a disparu. Je ne peux pas me permettre de consacrer toutes ces heures à ce blog si je veux exercer convenablement mes nouvelles fonctions et conserver une vie de famille décente. J'en ai averti ce matin Stéphane Laborde, qui m'avait proposé une association et a sportivement reconnu que ma décision était "un choix respectable". J'espère que vous saurez vous montrer aussi compréhensifs.
Pour autant, je ne regrette pas d'avoir tenté l'aventure. C'était une expérience journalistique passionnante. Simplement, ce n'est pas moi qui vous raconterai si oui ou non les champions d'échecs trichent, si Kramnik jouera le prochain championnat du monde à Mexico, si Maxime Vachier-Lagrave tiendra les promesses que l'on place en lui, etc. Je ne couvrirai pas mon premier Top 16, je n'écrirai pas le portrait de tel ou tel joueur, ni le reportage sur tel ou tel tournoi. D'autres, peut-être, le feront à ma place. Je poursuivrai le traitement minimaliste de l'actualité échiquéenne dont je dois me contenter dans les colonnes du Monde ou sur le site Internet du journal. Ainsi va la vie... Je remercie tous ceux qui m'ont soutenu, tous ceux qui ont parlé de ce blog (en particulier les webmestres qui ont créé des liens vers Echecs Info sur leurs sites), et, enfin, je vous remercie, vous, mes lecteurs. Pour votre fidélité, vos encouragements, vos commentaires. J'espère que nous nous retrouverons, non pas à travers un écran, mais devant un échiquier. Si j'ai le temps de me remettre à jouer...

30 janvier 2007

La Fédération française des échecs s'invite à l'école

Dans quelques jours, la Fédération française des échecs (FFE) va signer une convention cadre avec le ministère de l'éducation nationale. L'objet de cet accord est de développer la pratique du jeu dans les écoles, les collèges et les lycées. Que l'on ne se fasse pas trop d'illusions, cependant : il ne s'agit pas de transformer les échecs en discipline scolaire mais simplement de permettre à la discipline d'avoir un tampon officiel pour s'inviter dans les écoles. C'est un premier pas qu'il faut tout de même saluer. Dans son préambule, la convention cadre rappelle que les échecs constituent "un réel vecteur de formation". Le texte a le mérite d'officialiser ce que l'on savait déjà, c'est-à-dire que le jeu des rois n'est pas qu'un amusement :"le jeu d'échecs, école de concentration et de maîtrise de la pensée, est (...) une école de maîtrise de soi qui favorise l'apprentissage des règles et le respect d'autrui, et à ce titre participe de l'apprentissage de la citoyenneté". Bien sûr, plus classiquement, est aussi mis en avant le développement des capacités intellectuelles, du jugement et de la confiance en soi.
Dans la pratique, cette convention cadre, signée pour une durée de trois ans, vise en particulier les collèges dit "ambition réussite", c'est-à-dire, pour parler clair, ceux qui sont majoritairement fréquentés par des populations confrontées à de grandes difficultés socio-économiques. La FFE mettra du matériel et des enseignants à la disposition des établissements qui le souhaitent et montera des actions de sensibilisation. Il est aussi prévu que le ministère et la Fédération développent l'édition de textes pédagogiques (sites Internet, dépliants, etc...). Je ne vais pas tout détailler car le texte de la convention cadre devrait bientôt être rendu public. L'intérêt de cet accord pour la FFE est multiple. Tout d'abord, les portes de l'école sont officiellement ouvertes aux échecs et les clubs ou les ligues n'auront plus à batailler pour faire passer leur message aux directeurs d'établissements. Ensuite, la discipline va bénéficier, auprès de tous les personnels de l'éducation nationale (soit 1,5 million de personnes), d'une visibilité inédite. Enfin, m'a annoncé Jean-Claude Moingt, le président de la FFE, "le sponsor de la Fédération, BNP-Paribas, va préparer un kit scolaire comprenant notamment une pendule, un jeu, un échiquier mural et du matériel pédagogique. Ce kit sera destiné à tous les clubs qui veulent créer des sections Echecs dans les écoles."
Pour que cette convention cadre soit rédigée, il a fallu un petit coup de pouce du destin, en la personne de Jean-Michel Blanquer, actuel directeur adjoint du cabinet du ministre de l'éducation. M. Blanquer était précédemment recteur de Guyane et avait, à ce titre, collaboré avec la FFE. Visiblement, l'expérience avait été satisfaisante... Comme je l'écrivais plus haut, cette convention est un premier pas encourageant. Reste désormais à la Fédération à la mettre en action. Avec un petit risque qu'évoque Jean-Claude Moingt : "Si cela prend l'ampleur que l'on souhaite, on va manquer de profs d'échecs bien formés..."

29 janvier 2007

Le trio de Wijk-aan-Zee

Wijk-aan-Zee 2007, c'est fini. Et Vesseline Topalov n'est pas parvenu à en être le vainqueur unique. Dans la dernière ligne droite, le Bulgare s'est fait rejoindre par deux joueurs : l'Azerbaïdjanais Teimour Radjabov, qui, après un départ en trombe, avait lâché du lest dans la deuxième partie de la compétition, et l'Arménien Levon Aronian, invaincu au bout de 13 rondes. L'autre seul joueur à n'avoir pas concédé de défaites, le champion du monde Vladimir Kramnik, est à un demi-point du trio de tête car sa propension naturelle au partage du point a quelque peu mis sous l'éteignoir l'atout que représente sa quasi-invincibilité. On se souvient ainsi qu'à la fin des années 1990, le Russe avait totalisé une impressionnante série de 83 parties sans défaite et que, dans son match contre Kasparov en 2000, Kramnik n'avait concédé aucune défaite. Vishy Anand est cinquième. Dans le bas du classement, on trouve, à égalité, Alexeï Shirov qui est passé totalement à côté de son entame de tournoi, et Magnus Carlsen, qui a peiné dans la cour des grands, incapable de remporter la moindre victoire. Cela n'a pas été le cas, dans le tournoi B, pour le petit prodige français des échecs, Maxime Vachier-Lagrave (ci-contre, photo Fred Lucas/Mementoo) : 6 gains, 4 nulles et 3 défaites, pour une deuxième place ex-aequo, méritée, à un point de Pavel Elianov, lequel a ainsi gagné son ticket d'entrée pour le tournoi A en 2008. Dans le tournoi C, c'est le plus fort Elo, le Polonais Michal Krassenkov, qui l'a emporté.
De manière générale, le week-end n'a pas été excellent pour Vesseline Topalov. Obligé de partager la plus haute marche du podium, le Bulgare a aussi appris que la Fédération internationale des échecs rejetait son offre de match-revanche pour le titre mondial face à Vladimir Kramnik. Ce refus avait depuis longtemps été anticipé sur ce blog et sur mon blog précédent, puisque j'avais expliqué que les dates proposées pour disputer ce match étaient incompatibles avec le réglement de la FIDE. Enfin, Topalov a de nouveau été soupçonné de tricherie par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, dont le journaliste présent à Wijk-aan-Zee, le maître FIDE allemand Martin Breutigam, a été intrigué par un curieux jeu de pantomime de Silvio Danailov. Dès que l'adversaire de son protégé avait joué un coup, le manager de Topalov se précipitait hors de la salle de jeu pour donner un mystérieux coup de téléphone, revenait ensuite à grands coups de coudes se placer dans le champ de vision de Topalov, chaussait des lunettes qu'il ne met jamais en temps normal, puis faisait des gestes étranges de la main. Il faut bien reconnaître que cela n'a pas plus de fondement que l'accusation lancée par le même Danailov contre les fameuses toilettes de Kramnik. Mais, en expérimentant à ses dépens la désagréable impression que cela fait d'être soupçonné sans preuve, Topalov a peut-être eu un aperçu de ce qu'a subi, par sa faute, le joueur russe à Elista, pendant une compétition autrement plus importante que le tournoi néerlandais.

25 janvier 2007

Ronde 10 : le festival d'Elianov dans le tournoi B

Une fois n'est pas coutume, je vais aujourd'hui m'intéresser à un joueur qui n'est ni dans le tournoi A, ni français mais le prochain adversaire de Maxime Vachier-Lagrave à Wijk-aan-Zee, demain après-midi : le jeune Ukrainien de 23 ans, Pavel Elianov. Fils du maître international Vladimir Elianov, il joue 1. d4 avec les Blancs, ce qui ne l'empêche pas de développer un jeu assez agressif, comme le montre la partie qu'il a disputée hier avec les Blancs contre le Néerlandais Jan Smeets. Au sortir de l'ouverture, l'Ukrainien a profité d'une certaine désinvolture de son adversaire pour concentrer ses pièces vers le roque dégarni des Noirs. Le point culminant de la partie est survenu dans la position du diagramme ci-contre, au 20e coup des Blancs. Leur cavalier e4 est en prise. Une solution simple consisterait à prendre le cavalier d6 qui le menace mais Elianov trouve une autre voie et joue 20. Fh4 g5 21. Cxd6 Fxd6 (et pas Dxd6 car suit 22. Fxg5 ! et le fou ne peut être repris car après 22... hxg5 23. Dxg5+ gagne la tour d8) 22. Dxh6 ! Ce coup, qui marque le démarrage d'un festival tactique, abandonne le fou h4 à son triste sort mais, en prenant en h6, les Blancs ont ajouté une pression supplémentaire sur la case e6 qui va céder. En effet, après 22... gxh4, Elianov envoie la sauce par 23. Cxe6 (menace à la fois la tour et mat en g7) Fe5 (surveille h7 car le cavalier est imprenable en raison de la suite 23... fxe6 24. Fxe6+ gagne la dame) 24. Cxd8.
Nous avons abouti à la position du diagramme ci-contre. Ici, Smeets a préféré jouer 24... Fg7 Mais il faut dire que l'autre option évidente, à savoir 24... Dxd8, ne vaut guère mieux parce que déboule 25. Dg6+ (profitant du clouage du pion f7) Rh8 (forcé sinon c'est mat) 26. Dh5+ Rg7 27. Dxf7+ Rh6 28. Tad1 (sort la tour tout en clouant le cavalier) Df6 29. Txd7 Fxd7 29. Dxd7. Les deux adversaires ont le même nombre de pièces mais il y a quelques pions de plus côté blanc... Après le coup de la partie, 24... Fg7, les Blancs profitèrent de la faiblesse de f7 pour entrer rapidement en finale : 25. Fxf7+ Rf8 26. Ce6+ Rxf7 27. Cxg7 Df6 (probablement la moins mauvaise option) 28. Dxf6+ Cxf6 29. Tfd1 ! Les Blancs se permettent encore un sacrifice car ils savent qu'au bout du compte, en échangeant la tour noire restante, ils ne laisseront aucun contre-jeu à leur adversaire et qu'ils auront tout de même l'avantage numérique. La partie s'acheva par 29... Rxg7 30. Td8 b5 31. Tc1 Fb7 (forcé) 32. Tc7+ Rg6 33. Txa8 Fxa8 34. Ta7. Une technique brutale mais très efficace. Les Noirs abandonnent car les Blancs vont récupérer le pion a7. Elianov, avec Tour+6 pions, est gagnant face aux Fou+Cavalier+2 pions de Smeets.

24 janvier 2007

Flash : Topalov prend le large

Comme je l’écrivais un peu plus tôt dans la journée, Anand a un « boulevard » devant lui pour la fin du tournoi de Wijk-aan-Zee. Il l’a prouvé aujourd’hui, contre Kariakine, en montrant avec brio que sacrifier une dame contre tour+pièce mineure+ pion est sans doute correct en théorie mais parfois dangereux dans la pratique. Victoire de l’Indien en 63 coups. C’était d’ailleurs la journée des réfutations car Topalov a accepté un sacrifice de pièce de Carlsen puis a tranquillement défendu sa position, jusqu’à ce que le Norvégien concède qu’il n’avait rien obtenu en échange de son cadeau. Toutes les autres parties du tournoi A se sont achevées par le partage du point. Mais il y a nulle et nulle. Des nulles de combat comme les parties Shirov-Ponomariov ou Van Wely-Aronian, et des nulles de salon comme les rencontres Tiviakov-Navara, Radjabov-Svidler et Motylev-Kramnik. Topalov a désormais 1 point entier d’avance sur Teimour Radjabov et 1,5 point sur le quatuor Anand, Aronian, Svidler, Kramnik. Dans le tournoi B, les choses se compliquent pour Maxime Vachier-Lagrave, qui, avec les Noirs, a subi la loi de Dimitri Yakovenko tandis que deux de ses trois poursuivants immédiats, Bologane et Elianov, marquaient le point complet et le rattrapaient à la première place du classement. Il faut que le Français se remette vite de cette défaite car vendredi, il aura de nouveau une grosse partie (mais avec les Blancs) contre Elianov, justement.

Anand distille son poison

Vishy Anand s'est réveillé mais cela risque d'être un peu tard. Même si, à Wijk-aan-Zee, l'Indien (ci-contre, photo Fred Lucas/Mementoo) a devant lui la fin de tournoi la moins difficile de tous les grands ténors (il jouera contre Kariakine, Shirov, Tiviakov et Navara), son point et demi de retard, après la ronde 9, risque d'être un handicap trop gros à surmonter. Ne boudons cependant pas notre plaisir et regardons la partie qu'il a disputée hier, avec les Blancs, face au Néerlandais Loek Van Wely. C'était une variante Najdorf de la sicilienne et le Néerlandais décida de placer sa dame en b6 puis de croquer le pion empoisonné en b2. Ensuite, l'Indien donna un deuxième, puis un troisième pion. En face, Van Wely mangeait, mangeait, mangeait. La gourmandise étant un vilain défaut, tout le monde se demandait s'il pourrait digérer...
En effet, pendant tout ce temps, l'Indien avait quasiment achevé son développement (il ne lui restait plus qu'à roquer) tandis que la situation du Néerlandais, hormis la dame et un cavalier en d7, évoquait un parking de pièces, surtout à l'aile-dame. Au 20e coup, dans la position du diagramme ci-contre, Van Wely, sans doute turlupiné par son grand retard de développement, décida de céder la qualité et, au lieu de retirer sa tour attaquée en e8, préféra sortir son cavalier par 20... Cc6. L'ennui, c'est que après 21. Fxf8 Cxf8 22. 0-0, la majorité des pièces noires sont mal placées pour défendre le roque de Van Wely et on pressent que la case f7, qui a perdu son défenseur naturel (la tour f8), a du souci à se faire. Van Wely choisit ici de rendre encore du matériel en jouant 22... Fd7 23. Cd6 (attaque à la fois b7 et f7) Ce5 24. Cxb7 Dc7 25. Cd6 revient tranquillement imposer de la pression sur f7. On peut se demander pourquoi Van Wely n'a pas tenté l'échange de dames par 25... Da7. Le fait est qu'il choisit de soulager le pion f7 en l'avançant d'une case, ce qui enlevait un défenseur au pion e6.
L'échange des dames intervint un peu plus tard dans la partie, dans une position où les Blancs, très à l'aise, allaient regagner un nouveau pion, le pion e6 justement. La position de Van Wely devint par conséquent de plus en plus difficile. Comme il est conseillé dans le cas où on a une qualité d'avance, Anand échangea la dernière tour des Noirs. Du coup, leur pion "a" s'affaiblit à vue d'oeil tandis que le pion passé des Blancs sur la colonne "c" se révélait un véritable poison. Cela commençait à sentir fort le roussi lorsque Van Wely abrégea ses souffrances au 39e coup. Il faut dire que les options étaient maigres et peu agréables. Le plus sensé aurait consisté à tenter de rapprocher le roi noir de ses pièces mais cela aurait eu pour corollaire d'abandonner les pions de l'aile-roi à leur sort. Dans la position du diagramme ci-contre, le Néerlandais crut pouvoir activer son cavalier en jouant 39... Cd4, menaçant de prendre le fou e2 sur une fourchette Roi-Tour. Mais Van Wely avait oublié une règle de base : vérifier que son adversaire ne dispose pas d'un échec intermédiaire. Or, non seulement, Anand avait cette possibilité mais, en plus de cela, elle dégageait la colonne "e" sur laquelle se trouvaient deux pièces noires non protégées et incapables de se protéger entre elles. Anand joua 40. Fc4+ Rf8 41. Td1 et les Noirs abandonnèrent avant de perdre un des deux cavaliers. Dans cette partie, le dynamisme l'a emporté sur les considérations matérielles.

23 janvier 2007

Flash : statu quo à Wijk-aan-Zee

C'était la journée des réveils à Wijk-aan-Zee, mais pas pour les principaux prétendants à la victoire finale. Comme prévu, les copains Svidler et Kramnik ont vite partagé le point. Pour une fois, Topalov n'a pas trop insisté face à Aronian, se contentant de la nulle alors que la partie s'acheminait vers une finale avec Dames et fous de couleur opposée. Quant à Radjabov, la voie du statu quo sembla aussi lui convenir face à Carlsen qui, pour l'heure, n'a vraiment rien montré de son talent. Par conséquent, rien ne bouge pour le classement des cinq meilleurs de ce tournoi A. Le réveil que j'ai évoqué concerne deux joueurs : Anand, qui a dégommé Van Wely, et le malheureux Shirov, dont le sens du spectacle et de l'attaque a enfin payé, contre David Navara. Malgré cette première victoire avec une jolie combinaison pour finir la partie, l'Espagnol reste dernier. Dans les deux autres parties, Tiviakov et Motylev ont fait nulle tandis que le duel ukraino-ukrainien a tourné à l'avantage de Ponomariov qui a battu Kariakine. Je n'ai pas encore choisi laquelle de ces parties j'analyserai, ce sera la surprise de demain ! Dans le tournoi B, Maxime Vachier-Lagrave n'a pas gagné une sixième partie consécutive, mais il n'a pas perdu non plus, face à Jan Smeets. Malgré cette nulle, le Français accroît son avance car son poursuivant immédiat, Pavel Elianov, a perdu contre Erwin L'Ami. Demain, avec les Noirs, Maxime, qui compte un point d'avance sur le trio Bu Xiangzhi, Victor Bologane et Pavel Elianov, affrontera le plus gros morceau (sur la liste Elo) de cette compétition, le Russe Dimitri Yakovenko.

Un trimestre d'Echecs Info

Je profite du repos accordé hier aux joueurs, à Wijk-aan-Zee, pour évoquer brièvement le premier trimestre de ce blog, ouvert le 23 octobre 2006. Après trois mois d'existence, Echecs Info a reçu 46.563 visiteurs (soit un peu plus de 500 par jour), pour un total de 64.445 pages vues (700 par jour). Au cours du dernier mois écoulé, les performances ont été inférieures à celle des 30 jours précédents, ce qui est un peu normal car le match Kramnik-Deep Fritz avait attiré beaucoup d'internautes. Hier, pour la première fois depuis longtemps, Echecs Info a dépassé le millier de pages vues, grâce, j'imagine, aux performances de Maxime Vachier-Lagrave à Wijk-aan-Zee.
Par ailleurs, j'ai reçu, hier aussi, une proposition de Stéphane Laborde pour transférer ma production sur son site lepalamede.com, qui est le site d'informations adossé à diagonaletv.com, le site de vente de vidéos échiquéennes à la demande dont je vous ai déjà parlé. L'idée de M. Laborde, qui est aussi l'organisateur du Grand Prix de Bordeaux et chargé du développement d'Internet Chess Club (ICC) en France, consiste à fédérer les énergies autour du traitement multimédia des échecs, c'est-à-dire la télévision sur Internet, le jeu en ligne, mais aussi l'information écrite. Or, Stéphane Laborde ne peut assurer ce dernier aspect de manière régulière et m'a donc demandé si une synergie (modeste dans un premier temps) via lepalamede.com ne m'intéressait pas. Il propose d'abord de me fournir des outils techniques simples de mise en page dont je ne dispose pas avec Blogger, un applet Java pour faire rejouer les parties directement sur la page, mais aussi un autre modèle publicitaire, le soutien de diagonaletv.com et de la version française d'ICC qu'il anime. Je conserverais évidemment une entière liberté rédactionnelle, qui est la condition sine qua non, pour moi, à une éventuelle association. J'ai aussi formulé le souhait que, si j'accepte, le dialogue avec mes lecteurs, par la voie d'un commentaire ou d'un forum, soit maintenu. L'objectif est de générer plus de trafic (bon nombre d'internautes francophones qui s'intéressent aux échecs ne sont pas venus voir Echecs Info voire ne le connaissent pas) et, par conséquent, plus de recettes publicitaires (entre parenthèses, au bout de près de trois mois, j'ai enfin reçu mon premier chèque d'Adsense, plus symbolique qu'autre chose...). J'ai demandé à pouvoir réfléchir à cette proposition qui m'engagerait plus que ce blog ne m'engage. Et j'aimerais aussi savoir ce que vous en pensez. N'hésitez pas à laisser des commentaires.

*
Pour répondre à Marroun qui me posait des questions sur mon classement Elo et sur mes analyses, je dirai ceci : je ne figure plus sur la liste FFE car je n'ai pas joué de partie depuis juillet 2005 et n'ai pas repris de licence cette année. En revanche, je figure toujours sur la liste de la FIDE avec un Elo à 1919, sûrement surévalué. Je n'ai malheureusement plus l'occasion de jouer (beaucoup de travail et 4 enfants...) et je ne dispute plus de blitz sur Internet que de loin en loin. Pour les commentaires des parties, je me sers d'abord de mon cerveau pour me poser des questions sur le pourquoi de certaines lignes, et de Fritz 8 pour vérifier que je ne me plante pas. Vous aurez d'ailleurs remarqué que je ne sélectionne que les variantes les plus évidentes (et pas forcément les plus subtiles), voire les plus tactiques. J'espère ainsi m'adresser à un éventail de joueurs assez large.

22 janvier 2007

Ronde 8 : Maxime Vachier-Lagrave, un outsider sur le devant de la scène

En ce jour de repos pour les joueurs, à Wijk-aan-Zee, vous ne m'en voudrez pas de céder aux sirènes cocoriquesques et chauvines en présentant la dernière partie de Maxime Vachier-Lagrave, pour l'heure seul en tête du tournoi B. Une première place qui, rappelons-le, lui vaudrait, s'il la conserve jusqu'au bout, une invitation automatique pour le tournoi A de 2008. Donc, hier, notre jeune Français de 16 ans avait les Blancs contre le Néerlandais (de 21 ans) Erwin L'Ami. La phase de l'ouverture (dans cette variante... ouverte de l'espagnole) n'était pas encore terminée que les Noirs décidèrent de jouer un coup censé être libérateur. En effet, dans la position du diagramme ci-contre, L'Ami poussa son pion en c5, alors que la case en question est contrôlée par les Blancs. Le gain de pion qui en résulta ne fut que temporaire car, après 15. Cxc5 Fxc5 16. dxc5 d4, les Blancs préférèrent miser sur le développement et rendre le pion par 17. Td1 Dd5 18. b3 (pour mettre le fou en fianchetto et viser d4) Dxc5 19. Fb2 Tfd8 (défend d4) 20. Tac1 Db6. On s'aperçoit, après cette suite de coups simples, que les Noirs ont joué 3 fois leur dame en 4 coups et que leur pion d4 va tomber comme un fruit mûr, ce qui advint au 24e coup.
Cela nous donna donc la position du diagramme ci-contre. Au trait, les Noirs ne peuvent prendre le pion a2 car, ce faisant, la dame lâche le contrôle de d8 et suit 25. Dd8 ! Txd8 26. Txd8 mat. L'Ami joua donc 24... h6 pour enlever à son adversaire la possibilité de mat du couloir. Tout le problème des Noirs, c'est qu'ils n'ont pas vraiment de plan à leur disposition, tandis que les Blancs risquent de continuer de gagner du terrain par b4. Après 25. a3 Fxb3 vint 26. e6 ! (ouvre la grande diagonale noire et menace mat en g7) f6 (forcé) 27. Dd7 (Maxime s'en prend à la tour noire alors que sa propre tour est en prise) Fxd1 28. Dxc8+ Rh7. Les Noirs glissent sur une pente savonneuse et ils n'ont aucun moyen de s'arrêter : le pion d6 est à deux pas de la gloire et l'initiative est toujours aux mains des Blancs qui vont la conserver jusqu'au bout.
Après 29. Dd7 (menace le fou d1 et la prise Fxf6) De1+ 30. Rh2, les joueurs aboutirent à la position du diagramme ci-contre, sur lequel on s'aperçoit que les Noirs n'ont aucune option viable qui pare toutes les menaces et sont pour ainsi dire obligés d'abandonner leur fou pour contrôler le pion e6. L'Ami refusa cette sombre perspective et tenta un coup d'attente, 30... Rh8, pour déclouer le pion g7. Ce qui n'empêcha pas le Français de sacrifier quand même son fou en f6 et les Noirs abandonnèrent ! La menace étant mat en h7, ils seraient obligés de jouer 31... gxf6 32. De8+ Rh7 33. Df7+ Rh8 34. Dxf6+ Rh7 35. Df7+ Rh8 36. e7 et les Noirs doivent se résoudre à 36... Fh5 37. Dxh5 Dxe7 38. Dxh6+ Rg8 39. Dxa6 et on a une finale D+4 pions contre D+1 pion très inégale. A rejouer la partie, on se rend compte que Maxime a déroulé un jeu très fluide et très logique à partir du 14... c5 de son adversaire. On a l'impression que le gain s'est fait sans grand effort. Cela dit, il reste encore au Français à avaler deux gros morceaux, en la personne de Pavel Elianov, son poursuivant immédiat, et de Dimitri Yakovenko.

21 janvier 2007

Flash : Topalov et Vachier-Lagrave mettent le turbo et doublent tout le monde

Cinq victoires d'affilée, qui dit mieux ? C'est la question que peut poser ce soir, sans vantardise, Maxime Vachier-Lagrave qui, après s'être porté hier en tête du tournoi B de Wijk-aan-Zee, ex-aequo avec Pavel Elianov, fait ce soir cavalier seul (avec 6 points sur 8 possibles) grâce à un nouveau succès, avec les Blancs, face au Néerlandais Erwin L'Ami. Une victoire expéditive dans une espagnole de 31 coups, au cours de laquelle le Français n'aura utilisé que 41 minutes de temps de réflexion... Dans le tournoi A, c'est Vesseline Topalov (ci-contre, photo Fred Lucas/Momentoo) qui a profité du week-end pour mettre le turbo et obtenir 2 points face à deux anciens champions du monde de la FIDE, samedi Rouslan Ponomariov et aujourd'hui Viswanathan Anand qui aura besoin d'une remontée miraculeuse pour inscrire une nouvelle fois son nom au palmarès de Wijk-aan-Zee. Teimour Radjabov ayant été terrassé aujourd'hui par Levon Aronian et Vladimir Kramnik ayant annulé par deux fois, le numéro un mondial bulgare passe donc seul en tête du tournoi A ! Derrière Topalov à 6 points, on trouve Radjabov à 5,5, puis, à 5 points, une meute de candidats sérieux à la victoire finale : Kramnik, Svidler (qui a lui aussi totalisé deux victoires ce week-end), Aronian, sans oublier Sergueï Kariakine, assez discret mais toujours invaincu, qui a battu aujourd'hui David Navara. Demain c'est repos et après-demain, deux chocs au sommet pourraient permettre d'y voir plus clair avant le sprint final : Aronian aura les Blancs contre Topalov et si l'Arménien a de vraies ambitions, ce sera le moment de le prouver ; sur un autre échiquier, seront opposés les amis dans la vie que sont Svidler et Kramnik. Quant à Maxime Vachier-Lagrave, le tout frais leader du tournoi B (qui n'était au départ que le 10e Elo de la liste), il aura les Noirs contre le Néerlandais Jan Smeets, lequel avait effectué un début de compétition tonitruant (3,5 points sur 4) avant de connaître un sérieux coup d'arrêt (0,5 point au cours des 4 rencontres suivantes).

20 janvier 2007

Ronde 6 : Kramnik revient dans le bal

On pouvait se demander, au vu des nulles rapides qu'il accumulait, si Vladimir Kramnik, le champion du monde d'échecs, jouait vraiment pour la gagne dans ce tournoi A de Wijk-aan-Zee. Hormis une victoire contre Alexeï Shirov (qui a perdu presque toutes ses parties jusqu'ici), le Russe n'avait pas montré grand-chose. Mais hier, lors du premier choc entre "titans", Kramnik a prouvé, avec les Blancs contre Viswanathan Anand, qu'il avait quelques prétentions. Et aussi quelques atouts dans sa valise, car les améliorations que le numéro 3 mondial apporta à cette ligne de la catalane au sortir de l'ouverture (à partir du 16e coup) émanaient tout droit de recherches à la maison. D'ailleurs, Kramnik joua tout cela assez vite, plus vite qu'Anand qui n'est pourtant pas réputé pour être un lambin, mais était tombé dans une préparation de son adversaire. Au 22e coup, dans la position du diagramme ci-contre, les affaires de l'Indien se compliquèrent (voir le diagramme ci-contre). Anand joua 22... Cc4 23. Cxc4 Fxc4 24. Df2 Te8 25. e4 et on s'aperçoit que les Blancs n'ont aucun souci et que, surtout, le fou en c4 frappe dans le vide. Deux autres options semblent meilleures que le coup du texte : 22... Fc4 (avec l'idée 23. Cxc4 Cxc4 car le cavalier est plus fort ici 24. Txc4 ! bxc4 25. Dxc4 et, malgré la qualité sacrifiée, les Blancs ont la paire de fous et une position supérieure, à condition, bien sûr, de savoir quoi en faire) ou 22... Cc6 (visant le fou a5 : 23. e4 Fe6 24. Df2 [a le double intérêt de contrôler la case d4 et d'attaquer la tour a7, qui n'aura plus de défenseur si les Blancs prennent le cavalier au coup suivant avec leur tour et que la dame noire reprend] Cxa5 25. bxa5 n'équilibre pas encore totalement les chances mais est préférable, me semble-t-il, à ce qui va advenir dans la partie).
En effet, maîtrisant totalement la colonne "d", le Russe va, après un premier échange de tours, y installer un couple tour-dame, sans laisser à Anand le moindre contre-jeu. Suivit l'échange des dernières pièces lourdes et l'on entra doucement en finale où la paire de fous des Blancs et l'incapacité des Noirs à défendre le pion a6 allait faire pencher définitivement la balance du côté du champion du monde. Même si le Russe passa à côté du plan le plus simple et tâtonna un peu, Anand ne sut trouver la meilleure défense. Et l'on parvint au 52e coup, à la position du diagramme ci-contre, avec le fameux pion passé éloigné (en b4), actuellement bloqué par le cavalier, mais le plan des Blancs est très simple : aller, avec le roi, chasser le bestiau de b5, puis avancer le pion tranquillement. Les Noirs seront contraints de sacrifier le cavalier pour éviter qu'une dame réapparaisse puis les Blancs retraverseront l'échiquier pour aller s'occuper du pion "h" et mener leur propre pion "h" à dame. Il faut noter que tout cela est possible uniquement parce que les Blancs disposent du fou de cases noires, qui assure la promotion du pion en h8, ce que ne pourrait faire un fou de cases blanches. Ici, Anand joua 52... Re7 puis abandonna après 53. Fc5+. Plus rien, hormis une gaffe monstrueuse, n'empêchera les Blancs de gagner. Une partie dans le plus pur style de Kramnik qui, grâce à cette victoire, revient en bonne position dans le bal des prétendants à la victoire finale.

19 janvier 2007

Flash : Kramnik bat Anand dans la ronde 6

C'était LA partie de la ronde 6 à Wijk-aan-Zee, la première confrontation entre deux des trois premiers au classement mondial. Et cette rencontre Kramnik-Anand a tenu ses promesses. J'ai pu croire, au sortir de l'ouverture, que le jeu de pièces des Noirs et la domination de leur couple Dame-Fou sur la grande diagonale blanche avaient permis à l'Indien d'égaliser. Je suis allé regarder d'autres parties et, lorsque je suis revenu sur cet échiquier, tout comme les brumes matinales se dissipent parfois en un clin d'oeil, la position d'Anand n'était plus aussi agréable : trois échanges de pièces et le champion du monde, doté de la paire de fous, avait fait apparaître le genre de situation, sans risque pour lui, où il va tout doucement, dans un style calme et pur, faire parler son avantage. Et cela n'a pas raté : les dames ont disparu de l'échiquier, Kramnik a gagné un pion et Anand ne semblait pas en mesure dans une finale Fou+2 pions contre Cavalier+Pion, de trouver les ressources pour la nullité. Il abandonna au 53e coup. Le Russe est le grand gagnant de la journée car, après la nulle hyper-rapide de Radjabov contre Ponomariov et la nulle de combat que Navara, avec les Noirs, a arrachée à Topalov, Kramnik revient à la deuxième place (avec 4 points), à égalité avec le Bulgare. En tête, on trouve évidemment toujours Radjabov, avec 5 points sur 6 possibles. En bas du classement, Kariakine a enfoncé encore un peu plus Shirov, qui en est à 5 défaites... Toutes les autres parties se sont achevées par la nulle. Dans le tournoi B, on note la troisième victoire consécutive de Maxime Vachier-Lagrave, avec les Blancs, face au candidat sérieux qu'est Victor Bologane. Demain, le choc du jour opposera Anand, avec les Blancs, à Radjabov. L'Indien devra absolument gagner s'il veut conserver une bonne chance de remporter le tournoi.

Ronde 5 : qui arrêtera Radjabov ?

Tout d'abord, il semble, même si je ne me suis aperçu de rien, qu'il y ait eu une coupure de l'hébergeur du blog durant la nuit. L'incident n'a pas l'air d'avoir duré très longtemps. Désolé pour ceux qui ont essayé de se connecter à ce moment-là. Qu'ils se rattrapent aujourd'hui, avec l'analyse de la ronde 5 du tournoi A de Wijk-aan-Zee, laquelle n'a pas manqué d'animation sur au moins quatre échiquiers (lire le flash d'hier soir). Encore une fois, Teimour Radjabov l'a emporté ce qui lui donne 4,5 points sur 5 possibles, soit une performance exceptionnelle. Cela dit, sa victoire d'hier, avec les Noirs face au Tchèque David Navara, est assez chanceuse comme vous allez vous en apercevoir. En effet, dans l'ouverture, l'Azerbaïdjanais donna un pion sans aucune compensation et son adversaire aurait dû tenter de faire tranquillement fructifier ce petit (mais pas insignifiant) avantage. Au contraire de cela, Navara s'enhardit et lança une attaque hautement tactique sur le roque des Noirs. Au lieu de sortir le ciment en jouant 21. a4, le jeune Tchèque tenta d'ouvrir le jeu par 21. e4 (voir diagramme ci-contre). En face, Radjabov n'allait pas laisser passer l'occasion de torturer le cavalier b5, cloué sur la tour f1. Après 21... Cc4 (attaque la dame tout en occupant la case c4 à la place du pion) 22. Dc1 (contrôle a3) a4 (empêche le pion "a" des Blancs de se porter au secours du cavalier), Navara décida d'abandonner son cheval à son triste sort et de tenter la razzia des pions noirs de l'aile-roi avec 23. exf5 Dd7 (se prépare à gober le cavalier) 24. fxg6 Fxb5 25. Dg5 (du renfort pour l'attaque) Ce5 (repositionne le cavalier au centre tout en attaquant la tour f1) 26. gxh7+ Rh8. Cette dernière réponse des Noirs est la seule bonne. Si le roi prend le pion, les Blancs ont 27. Fe4+ Rh8 28. Dh6+ Rg8 29. Txb5 récupère la pièce avec le bénéfice de trois pions car la dame noire ne peut pas prendre la tour puisque, ce faisant, elle abandonnerait la surveillance de la case cruciale h7, où la dame blanche viendrait mater les Noirs. Et si le roi noir va en f7 après 26. gxh7+, les Blancs poussent 27. f4 ! Cg6 28. Fe4 avec une attaque d'autant plus forte que le pion h7 est à une case de sa promotion, ce qui augmente les possibilités tactiques.
Si nous revenons à la partie, après 27. Tfe1 Fd3, les Blancs commirent deux erreurs coup sur coup en retirant leurs deux tours de la première rangée, ce qui donna la position ci-contre. Ici, les Noirs jouèrent l'évident 29... Cc4 qui, en plus de s'offrir une fourchette sur les deux tours, ouvre la colonne "e". Les Blancs répondirent par 30. Txd3 et ce fut leur dernière faute (même s'il ne laisse guère d'espoir, 30. Txd6 prolonge un peu la partie). Survint 30... Te1+ 31. Fe1 (forcé) Dh3 (exploite le clouage du fou f1) 32. Dg8+ Txg8 33. hxg8D+ Rxg8 34. Tb8+ Rg7 et les Blancs abandonnèrent car ils vont très vite épuiser les échecs au roi et ne pourront éviter que la reine mate en f1. Pour sa troisième partie avec les Noirs dans ce tournoi (et sa troisième défense est-indienne), Radjabov empoche le point complet. Qui pourra l'arrêter ?

18 janvier 2007

Flash : Vachier-Lagrave et Radjabov gagnent de nouveau

Autant sa victoire de la ronde 4 était calme, autant celle de la ronde 5, avec les Noirs, a été un combat. Face au Néerlandais Jan Werle, Maxime Vachier-Lagrave a sacrifié une pièce contre deux pions au sortir de l'ouverture pour finir, à force de pression, par la récupérer avec bénéfice. Son adversaire a voulu lui rendre la pareille mais cette entreprise n'a pas eu le même succès : le Français l'emporte au bout de 34 coups. Dans le tournoi A, les parties Ponomariov-Kramnik, Kariakine-Motylev et Aronian-Carlsen ont donné lieu à des nulles rapides. Alexeï Shirov a continué son chemin de croix en étant battu, avec les Blancs, par Loek Van Wely au terme d'une partie proprement ébouriffante tandis que Vishy Anand miniaturisait Peter Svidler en 21 petits coups. Enfin, Topalov a calé dans le duel à distance qui l'oppose à Radjabov : ce dernier, inarrêtable et survolté, a encore gagné (avec les Noirs, face à Navara) et totalise 4,5 points sur 5 ! Dans le même temps, le numéro un mondial, opposé à Tiviakov, il a insisté assez longtemps, avec les Noirs, mais la finale cavalier+pions contre fou+pions était assez équilibrée pour que les deux joueurs se séparent avec un demi-point chacun. Radjabov accroît donc son avance en tête du classement, où il précède d'un point Topalov et Anand. Kramnik et Aronian suivent juste derrière.

Les premiers pas à Wijk-aan-Zee de Maxime Vachier-Lagrave

Avec zéro Français dans le tournoi A de Wijk-aan-Zee, tous les regards sont braqués vers le jeune espoir Maxime Vachier-Lagrave, 16 ans, qui dispute le tournoi B. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ce nouveau petit prodige tricolore (après Etienne Bacrot qui fut le plus jeune grand maître de tous les temps) détient déjà beaucoup de titres de champion de France : le cheveu brun et rebelle, l'oeil aux aguets derrière ses lunettes, Maxime a successivement triomphé dans les catégories des moins de 8 ans, moins de 10 ans, moins de 12 ans, moins de 16 ans et moins de 20 ans. En 2003, Vachier-Lagrave a aussi été vice-champion du monde des moins de 14 ans. Cette collection de titres correspond à un début de carrière paradoxal, époustouflant d'un côté, calme et discret de l'autre. Tout commence à Noël 1995, lorsque son père reçoit comme cadeau un jeu d'échecs électronique, avec déjà, en arrière-pensée, l'idée de le prêter au fiston, attiré, du haut de ses 5 ans, par les chiffres, le calcul et le raisonnement logique. « Les échecs m'ont tout de suite plu, me disait Maxime en 2004, lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, et, en septembre 1996, j'étais inscrit au club de Créteil, qui avait une section « jeunes » assez importante. »
A Créteil, il rencontre Eric Birmingham, qui y donne des cours collectifs : « C'était le plus jeune élève, et il était extrêmement vif. Je l'ai vite repéré parce que, lorsque je proposais des exercices pratiques, des problèmes, des attaques de mat, il était étonnant par ses capacités tactiques, combinatoires. » Au bout d'un an, l'enfant décroche son premier titre de champion de France, et le club débloque un petit budget pour qu'Eric Birmingham l'entraîne. Sans à-coup, Maxime Vachier-Lagrave monte en puissance, dépasse son maître, va au club de Clichy puis au NAO Chess Club et reste, cette saison, fidèle au club parisien (rebaptisé Paris Chess Club), malgré le départ de son mécène, Nahed Ojjeh. Selon Eric Birmingham, « Maxime a un style aigu, tranchant. C'est un joueur d'attaque, mais il n'est pas tout fou. C'est aussi un véritable petit ordinateur qui calcule les combinaisons, se trompe peu et voit loin. Surtout, Maxime reste humble. Il incarne le contre-exemple de l'idée selon laquelle il faut détester son adversaire pour se motiver, être agressif. Il lui arrive souvent de sourire derrière l'échiquier... »
Le titre de grand maître est venu à son heure et, même si sa très régulière courbe de progression plafonne depuis quelques mois, le jeune Français a, me semble-t-il, les ressources suffisantes pour passer la barre des 2600 points. Pour la petite histoire, j'ai disputé (avec une trentaine d'autres joueurs) une simultanée fin 2004 contre Maxime, dans le glacial et bruyant hall de départ de la gare d'Austerlitz, à Paris. C'était une sicilienne Najdorf avec roques inversés et, après avoir beaucoup galéré, j'ai fini par égaliser en recyclant à l'aile-dame un fou de cases noires qui n'avait aucun avenir de l'autre côté. Comme cela se passe souvent dans les simultanées, Maxime jouait très vite (et pas forcément les meilleurs coups, bien sûr, sinon je n'aurais eu aucune chance) et pour ma part, j'étais focalisé sur la gaffe à éviter. Si bien que j'ai d'abord loupé une attaque intéressante, puis, carrément, le gain d'une pièce en deux coups après une bourde de mon adversaire. Après cet épisode malheureux, il me proposa la nulle, estimant sans doute généreusement que je l'avais méritée mais... je continuai de jouer, tout simplement parce que, à cause du brouhaha et de la petite voix de Maxime, je n'avais rien entendu ! Qu'un poireau lui refuse une nulle n'avait pas dû lui arriver souvent. Je lâchai un pion puis ma position s'écroula. Après avoir raté le gain face à celui qui n'allait pas tarder à devenir grand maître, puis manqué l'occasion de partager le point, je perdis la partie.
A Wijk-aan-Zee, Maxime ne joue pas contre des mazettes. Après 4 rondes, il totalise 2 points - deux nulles, une défaite et une victoire contre le Turc Suat Atalik. C'est cette dernière partie que je vous propose de regarder aujourd'hui. Avec les Blancs, le Français était confronté à une sicilienne et, sans s'emballer mais sans dormir non plus, a construit une position agréable pendant que son adversaire perdait du temps à tripoter sa dame au coeur des lignes blanches. Comme on le voit sur le diagramme ci-contre, pris après le 24e coup du Français, tout est bien défendu côté blanc et les pions sont plus harmonieusement disposés. Il ne s'agit que d'un petit avantage mais Atalik va faciliter la tâche de Maxime en jouant 24... Ff4?! (je préfère Thg8 qui attaque le pion, car le coup du texte dispense les Blancs de protéger g4)25. Th1 Txh5 26. Te1 (pourquoi pas le plus direct gxh5, sans se poser de questions ? Peut-être par crainte, après 26... Dxf5, d'abandonner le centre à une marée de pions noirs) Dc6 27. gxh5. On s'aperçoit que le sacrifice de qualité des Noirs ne leur a pas offert de contrepartie. A partir de là, Maxime va tranquillement, comme à l'école d'échecs, doubler les tours sur la colonne "d" puis croquer les pions "a" et "b" abandonnés, pour accroître son avantage.
Finalement, le joueur turc va craquer dans la position du diagramme ci-contre. Il n'y a en fait pas grand chose à faire pour sauver les Noirs et, tout compte fait, Atalik va choisir une manière rapide de mettre fin à ses souffrances, en mangeant le pion h5 avec sa dame, coup qui oublie la protection de d6. Après 34... Dxh5 35. Txd6, les Noirs abandonnent car il n'y a plus rien à faire. 35... Txd6, pour ne pas perdre la tour pour rien, est en fait un hara-kiri car vient 36. Dxd6+ Re8 37. Dd8 mat. Le mat du couloir (qui était sans doute ce que visait Atalik) ne marche évidemment pas car après 35... Dxd1+ 36 Txd1+ à la découverte ! gagne aisément. Reste 35... Rf8 pour se sauver derrière les pions. Futile espoir : après 36. Txd7+ Rg7 37. Tg1+ et le mat est de toute manière inévitable. On pourrait dire que c'est surtout le Turc qui a perdu cette partie plus que le Français ne l'a gagnée. Ce serait oublier que Maxime avait obtenu, au sortir de l'ouverture, une position supérieure, de laquelle ont découlé la plupart des ennuis de son adversaire.

17 janvier 2007

Ronde 4 : Topalov court après Radjabov

Il est curieux de voir un joueur de la classe d'Alexeï Shirov servir de punching-ball à ses congénères, mais c'est pourtant ce qui se passe à Wijk-aan-Zee depuis quelques jours. Il est vrai que l'Espagnol d'adoption (en photo ci-contre face à Vesseline Topalov) est coutumier des hauts et des bas, comme en témoigne la courbe de son classement Elo depuis quelques années. Hier, lors de sa partie contre le numéro un mondial, Shirov, avec les Noirs, accepta un sacrifice de qualité précoce. L'idée de Topalov, profonde, consistait à obtenir, en contrepartie, plus d'activité pour ses pièces et à accumuler les menaces sur le roque étiré de son adversaire, en installant notamment un fou indélogeable en h6.
Le résultat se voit sur le diagramme ci-contre. C'est la photographie de la position après le 22e coup des Blancs. Trois pièces visent directement le roque des Noirs et notamment le pion f6 qui n'est pas en grande forme. Ici, les Noirs ne peuvent pas prendre le fou non protégé en b5 car après 23. Dxf6 qui menace mat en g7 et force 23... Db2 (23... Fxd5 24. Df8+ ! Txf8 25. Txf8 mat) 24. Dxe7, je vous laisse trouver les quelques coups qui mènent au mat imparable. Par conséquent, Shirov joua ici 22... Fxd5 qui dégage la septième rangée et permet à la tour e7 de contrôler la case g7. Après 23. exd5, Dxb5 était désormais possible puisque 24. Dxf6 De8 surveille les cases sensibles. Les Noirs ont certes la qualité de plus mais aussi un retard certain de développement (notamment un cavalier sur la bande) et un roi exposé.
Comme on s'en rendit compte dans la suite de la partie, Shirov n'avait aucune option active à sa disposition et son unique souci devait être de ne pas gaffer. Il tenta d'échanger les dames, pour dissoudre le fort potentiel tactique de Topalov, mais le Bulgare parvint à s'échapper à chaque fois. Ainsi, après le 37e coup des Noirs, Dc5 (position du diagramme ci-contre), la dame Blanche fila en g3. Shirov aurait dû se contenter de 38... De7 et d'attendre. Mais il tenta 38... Dd4 et les choses s'accélérèrent. Après le prophylactique 39. Rh2 Cd8 40. Dd6, on s'aperçoit que la dame noire est trop loin de ses bases pour pouvoir défendre son camp face aux multiples menaces. Le pion g6 notamment est mourant car la dame ne peut se permettre de quitter la grande diagonale noire pour le protéger : sur 40... Dd3 surviendrait 41. Df6 (avec toujours la menace de mat en g7) Ce6 42. dxe6 Dd6+ 43. g3 et il n'y a plus d'échecs à donner pour les Noirs qui vont se faire mater, par exemple par 43... De7 44. Dxg6+ Rh8 45. Cf6 (le cavalier arrive à point nommé pour contrôler les cases blanches autour du roi) la tour va où elle veut sauf en g8 (car la dame l'y prend et mate en même temps) 46. Fg7+ ! Dxg7 47. Dh5+ Dh7 (ou h6) et mat au coup suivant. Donc, 40... Dd3 est exclu. En fait, il n'y a aucun coup sauveur. Shirov joua 40... Ce6 et Topalov conclut la partie par 41. Fe3 : la dame noire, ne pouvant à la fois contrôler la case f6 (que vise le cavalier blanc pour une fourchette roi-tour) et rester sur la colonne d pour maintenir en respect le pion cloué, est surchargée. Shirov, sur le point de perdre une pièce, abandonna.
Après 4 rondes, c'est l'heure du premier constat : Teimour Radjabov fait une nouvelle fois forte impression mais il n'a encore rencontré aucun des trois calibres. Parmi ceux-ci, seul Topalov, qui a eu de la chance contre Kariakine, semble avoir l'énergie pour se maintenir dans le rythme de l'Azerbaïdjanais. Cela dit, il faut attendre encore quelques rondes pour se prononcer sur l'état de forme d'un Anand ou d'un Kramnik (qui se rencontreront vendredi). Aujourd'hui, c'est repos et demain, pour changer du tournoi A de Wijk-aan-Zee, je vous parlerai du B et de la première victoire, hier, de Maxime Vachier-Lagrave.

16 janvier 2007

Flash : Radjabov gagne encore

La ronde 4 du tournoi néerlandais de Wijk-aan-Zee a fait l'effet d'une course-poursuite. Le lièvre s'appelait Vesseline Topalov qui enfonçait Alexeï Shirov encore plus profondément dans les enfers avec une victoire rapide que j'analyserai demain. Du coup, deux autres grands maîtres se sont mis en tête de ne pas être en reste. Le premier était évidemment Vladimir Kramnik qui, avec les Blancs, a joué jusqu'à plus soif mais sans pouvoir piéger le Tchèque David Navara : nulle très longue de 63 coups. Le second à vouloir gagner (et demeurer seul premier au classement général), c'était Teimour Radjabov, qui avait les Blancs face à Sergueï Tiviakov. A force de malaxer la position, l'Azerbaïdjanais troua le roque des Noirs mais ne parvenait pas à trouver véritablement la faille. Cependant, lorsque le rythme s'accéléra, Tiviakov se déchira comme un arrière latéral rate un tacle au football, permettant à son adversaire de marquer le but... pardon, le point. Sur les autres échiquiers, Carlsen se rassura enfin en obtenant une nulle rapide contre Anand ; Motylev et Aronian semblaient peu désireux d'en découdre (nulle en 22 coups) ; Svidler et Ponomariov ne se cherchèrent pas trop de noises non plus ; enfin, la partie Van Wely-Kariakine, plus animée, se termina par une ébauche d'échec perpétuel qu'obtint l'Ukrainien en sacrifiant une tour. Au classement général, Radjabov compte 3,5 points (sur 4 possibles). La meute s'est détachée et seul Topalov suit à 3 points tandis que Kramnik, Navara, Anand, Aronian et Svidler sont à 2,5 points. On trouve ensuite Kariakine et Ponomariov avec 50 % des points, puis viennent les mal classés, Motylev à 1,5 point, Carlsen, Van Wely et Tiviakov à 1 point. Alexeï Shirov ferme tristement la marche avec 0,5 point. Dans le tournoi B, le Néerlandais Jan Smeets fait des étincelles et s'est détaché avec 3,5 points car le Chinois Bu Xiangzhi a été battu par l'Ukrainien Pavel Elianov. Quant à Maxime Vachier-Lagrave, il a remporté sa première partie (que je vous ferai revivre jeudi) face au Turc Suat Atalik. Demain mercredi, c'est repos pour les joueurs.

Ronde 3 : Radjabov refroidit le bouillant Shirov

Incontestablement, la partie que l'on retiendra de cette troisième ronde de Wijk-aan-Zee sera celle qui a opposé hier, Alexeï Shirov, avec les Blancs, à Teimour Radjabov. L'Azerbaïdjanais (ci-contre, photo Fred Lucas/Momentoo) remet au goût du jour la défense est-indienne, chère à Bobby Fischer et à Garry Kasparov, tombée un peu en désuétude après que ledit Garry l'eut délaissée. Les subtilités d'aujourd'hui ne sont pas forcément les mêmes qu'autrefois mais le schéma global de la partie a souscrit aux standards de l'est-indienne : les Blancs s'imposaient au centre en perçant la chaîne de pions ennemie, tandis que les Noirs fondaient tous leurs espoirs dans une contre-attaque à l'aile-roi, soutenue et menée par les pions.
Le "Radjah" savait visiblement ce qu'il faisait et il aurait sans doute fallu un tantinet de prudence de la part de Shirov (qui n'est pas un spécialiste en la matière...) pour s'apercevoir du danger. En réalité, les apparences de la position ci-contre sont trompeuses : les Blancs n'ont aucun coup gagnant à leur disposition. Se contenter de chercher la nulle est apparemment le mieux qu'ils puissent faire mais peut-être est-ce déjà trop tard. J'ai retourné la position dans bien des sens et j'ai l'impression que l'attaque-éclair que l'association pions-dame noire se prépare à lancer est plus rapide et plus efficace que tout jeu des Blancs. Si vous avez des suggestions pour sauver Shirov à ce point de la partie, je suis preneur... En attendant, voilà ce qui se passa : l'Espagnol joua 31. Txe6 ?! Txd5 32. Th6+ Rg8 33. Fc4.
Nous en étions donc à la position du diagramme ci-contre. La tour d5 est affreusement clouée et on a l'impression que les Blancs vont récupérer du matériel en pagaille. Mais il ne s'agit que d'une illusion. Le rouleau-compresseur des pions noirs va se mettre en action et l'emporter. Radjabov joua 33... gxf3+ 34. Rh1 (les autres coups perdent instantanément, par exemple 34. Rxf3 Dh3 35. Rf2 De3+ 36. Rg2 [Rf1 Df3+ ramasse la tour d1 et va ratisser le fou c4 après] Dxe4+ 37. Rg1 Dxc4) Cxh5. Je me demande si 34... Dh3, menaçant mat en g2, n'aurait pas été une manière plus forte de mener à la victoire avec l'idée que si 35. Fxd5+ Tf7 36. Tg6 (pour parer le mat) f2 !? 37. Tg2 Dd3 ! 38. Txd3 f1D+ 39. Tg1 Dxd3 40. h6 Rh7 41. Fxf7 Dxe4+ 42. Tg2 Rxh6 et les Noirs gagnent aisément. Après 34... Cxh5 35. Tg1+ Cg3+ ! 36. Txg3+ fxg3 37. Txh4 g2+ 38. Rg1 f2+ 39. Rxg2 f1D+ 40. Fxf1 Td2+ 41. Rg3 Txb2, les Noirs ont une qualité de plus (mais un pion de moins). Shirov allait ensuite déraper dans la finale, facilitant la tâche de Radjabov.
Sur les autres échiquiers, je ne reviens pas sur la nulle rapide de Tiviakov et Kramnik, où les deux champions ont récité les coups jusqu'à une finale de tours et pions complètement égale. Opposé, avec les Noirs, à David Navara, Peter Svidler a vité égalisé et maîtrisé son sujet pour obtenir le partage du point au 27e coup. Vishy Anand et Levon Aronian ont livré une rencontre vivante autour du thème du gambit Marshall (partie espagnole), qui s'est achevée par un double sacrifice de pièces de l'Arménien, lui ouvrant la voie à un échec perpétuel. Loek Van Wely, qui avait 0 point, s'est montré entreprenant face à Alexandre Motylev. Mais ce dernier, dans une finale un peu inférieure, sacrifiait son dernier fou sur les deux pions restants des Blancs, ce qui suffisait pour lui assurer le demi-point. Le drame du jour frappait, comme la veille, Magnus Carlsen, lequel, ayant, dans une défense slave, artificiellement placé sa tour en a7, créa tout seul un défaut dans sa position, sur lequel Rouslan Ponomariov n'allait cesser d'appuyer. Le jeune Norvégien fut contraint de donner sa dame contre une tour et un fou, tout en restant empêtré avec une tour enfermée par un fou en b8. Il lâcha encore un pion et abandonna au 30e coup, arrêtant les frais avant de perdre une pièce supplémentaire.
Enfin, sur le dernier échiquier, la défense sicilienne du numéro un mondial, Vesseline Topalov, se faisait malmener par un Sergueï Kariakine affûté. Le pion h4 du Bulgare, trop avancé, finit par tomber, son fou de cases noires, enfermé derrière ses pions d6 et f6, restait longtemps passif et, lorsqu'il sortit de sa retraite, ce fut pour un quitte ou double osé, très osé. Dans la position du diagramme ci-contre, Topalov vient de poser son fou en d2, fermant du même coup la colonne "d", et menaçant donc de gagner la tour blanche. En regardant la position en direct, je me suis dit que Kariakine n'avait que Tc4 pour s'en sortir prudemment, qui avait pour inconvénient, après Fxe1 Dxe1, de perdre le pion d'avance puisque g3 tombe. L'Ukrainien joua d'ailleurs Tc4 et cela mena à la nulle. Mais il existait une incroyable et paradoxale ressource qui, si elle avait été dénichée, aurait probablement apporté la victoire et la gloire à Kariakine : il fallait jouer 42. Dh5 !! qui laisse en prise et la tour et le fou. Un coup qui vaut ses deux points d'exclamation. Evidemment, le fou est imprenable car suit 43. Df7+ Rd8 44. Dxg8+ Rd7 (Re7 45. Tc7 mat) 45. De6+ Rd8 46. Tc8 mat. Si les Noirs croquent la tour, 43. Df7+ Rd6 44. Dxg8 Dg1 (pour sortir la dame de la grande diagonale blanche car si 44... Fxe1 45. Dd8+ Rc6 et 46. Da8 gagne la dame après cette enfilade royale) 45. Dd8+ gagne le fou d2 au coup suivant... Kariakine doit s'en vouloir.
Après cette ronde 3, Radjabov, qui totalise 2,5 points (dont deux gains avec les Noirs), est seul en tête. Le suit un peloton de 6 collègues à 2 points (Topalov, Navara, Anand, Aronian, Svidler et Kramnik) puis Kariakine et Ponomariov (1,5 point), Tiviakov et Motylev (1 point). Enfin, en queue de peloton, on trouve les malheureux Carlsen, Shirov et Van Wely, avec seulement 0,5 point.

15 janvier 2007

Flash : le "Radjah" reprend la tête dans la ronde 3

La ronde 3 du tournoi de Wijk-aan-Zee, après la furia de la veille, a repris une tonalité plus conforme aux compétitions de ce genre. Des nulles rapides et sans saveur, comme celle de Vladimir Kramnik et Sergueï Tiviakov, aboutissant rapidement à une finale de tours et pions stérile. Une nulle de combat, qu'a décrochée Vesseline Topalov avec les Noirs face à un très accrocheur Sergueï Kariakine. Une démolition en règle, celle de Magnus Carlsen, qui prend la leçon face à Rouslan Ponomariov et un combat somptueux, que j'analyserai demain, entre Alexeï Shirov et Teimour Radjabov. Ce dernier l'a emporté avec les Noirs dans une est-indienne et mérite de plus en plus son surnom de "Radjah". Doté de 2,5 points, il est seul en tête du tournoi, avec un demi-point d'avance sur six de ses collègues. Il y a eu beaucoup d'animation dans le tournoi B, avec 6 parties décisives sur 7, et notamment la défaite du Français Maxime Vachier-Lagrave face au Chinois Bu Xiangzhi, qui mène la danse du B, avec le jeune Néerlandais Jan Smeets (2,5 points tous les deux). Maxime, avec deux nulles et une défaite, est déjà bien décroché.
Par ailleurs, le manager de Topalov, Silvio Danailov, a protesté aujourd'hui contre la Fédération internationale des échecs qui a refusé son offre de match-revanche pour le titre mondial entre son protégé et Kramnik. Plusieurs raisons à cela : les dates proposées ne sont pas conformes au réglement de la FIDE, les garanties bancaires n'ont pas été émises à temps et, surtout, la banque de la FIDE, la célèbre banque suisse UBS, a estimé ne pas pouvoir accepter les garanties de la banque bulgare choisie par Danailov. Celui-ci se dit insulté. D'aucuns diront qu'on ne peut pas toujours être du même côté de l'insulte...

Wijk-aan-Zee : des nulles et puis du jeu

La ronde 1 du tournoi A de Wijk-aan-Zee aurait pu illustrer à merveille le propos de ma dernière note, avec 6 nulles pas très captivantes sur 7 parties. Seul Teimour Radjabov, avec les Noirs, parvenait à marquer un point entier contre Loek Van Wely. En revanche, dès le lendemain, l'action était de mise après ce tour de chauffe : cette fois-ci, les statistiques s'inversaient avec 6 parties décisives et une seule nulle (la partie Radjabov-Kariakine), ce qui, disons-le franchement, est plutôt rare à ce niveau. Comme quoi, rien n'est complètement perdu pour ceux qui aiment le spectacle aux échecs. Il y avait du feu sur l'échiquier, à commencer sur celui du numéro un mondial, le Bulgare Vesseline Topalov, qui, avec les pièces blanches, exécutait Van Wely. S'il ne veut pas jouer au client, c'est-à-dire à celui sur lequel tous les cadors s'acharnent, le Néerlandais a intérêt à se reprendre rapidement.
Dans cette partie Topalov-Van Wely, les spectateurs ont eu droit aux grands classiques de la variante Najdorf de la défense sicilienne : roques inversés, course à l'attaque du roi adverse, avec les pions "g" et "h" pour les Blancs, et les pions "a" et "b" pour les Noirs. Mais, dans cette course, Van Wely allait manquer un peu de précision et prendre du retard, ce que n'a pas manqué d'exploiter son adversaire. Ainsi, dans la position du diagramme ci-contre, Topalov ne s'embarrasse pas de préliminaires et fonce dans le tas, en jouant 20. g6. En fait, les Blancs ont raison d'y aller franco étant donné que les Noirs ne peuvent prendre le pion car personne n'est là pour défendre leur roque. Sur 20... hxg6 21. hxg6 Cf8 (attaque g6 tout en dégageant un peu la 7e rangée ; il ne faut bien sûr pas jouer 21... fxg6 à cause de 22. Fe6+ Rf8 23. Th8 mat !) 22. gxf7+ Rxf7 et le roi noir commence à être dans de méchants courants d'air car les Blancs peuvent même se permettre 23. Fe6+ car après 23... Cxe6 24. dxe6+ Rxe6 25. Dd5+ 26. Cd3 (le pion e5, cloué, approche du point d'ébullition) Ff6 27. Cxe5+ Fxe5 28. Dxe5 et les Noirs sont horriblement mal : le pion g7 est attaqué mais ne peut bouger à cause de Th7+ qui ramasse la dame ; le pion e5 ne peut bouger lui non plus ; le cavalier n'a pas de case où aller ; et après un coup comme 28... Tg8 29. Ff4 vient parachever la domination (et le gain) des Blancs. Après 20. g6, fxg6 ne vaut pas mieux car suit 21. Fe6+ Rf8 (21... Rh8 est un suicide car après 22. hxg6 h6 23. Fxh6 et les Noirs se font mater vite fait bien fait) 22. hxg6 h6 23. Fxh6 ! Ff6 (protège g7) 24. Fg5 (pour éliminer la seule pièce en jeu des Noirs) Cac5 (revient dans la partie afin de supprimer le gênant fou e6) 25. Cd3 (les Blancs peuvent se permettre ce coup de développement car rien ne les menace) Cxe6 26. dxe6 (remet de la tension) Fxg5 (si le cavalier attaqué se sauve, les carottes des Noirs sont cuites : 27. Fxf6 gxf6 28. Th8+ Re7 [Rg7 29. Dh6 mat] 29. Rh7+ gagne la dame) 27. Dxg5 Cf6 28. Cxe5 ! Les Noirs perdent un pion car le cavalier est tabou : sur 28... dxe5 29. Td7 ! et, pour empêcher le mat imminent (par 30. Th8+ Cg8 et 31. De7 mat), les Noirs doivent prendre la tour avec leur dame (pas avec le cavalier, car déboule l'immédiat Th8 mat).
Je n'ai donné que les lignes principales mais cela prouve assez bien que le pion g6 est imprenable. Van Wely a donc joué 20... Ff6 qui n'est pas spécialement convaincant. Après 21. gxf7+ Rxf7 22. Fe6+ Rf8 23. b3 Cdc5 24. Thg1 De7 25. Ff5, on arrive à la position du diagramme ci-contre. Ici, pour protéger le pion h7 attaqué, Van Wely a mis son roi en g8, ce qui est imprécis comme Topalov va le démontrer illico presto. Le plus évident h6, même s'il affaiblit la case g6, était moins risqué. Le Bulgare enchaîna donc par 26. Fxc5 Cxc5 27. Dh6 (exploite le clouage du pion g7 et renouvelle l'attaque sur h7) Rf8 28. Dxh7. A partir de là, la situation des Noirs va se déliter très rapidement.
D'autant plus rapidement que, dans la situation du diagramme ci-contre, le Néerlandais va craquer. Même si 32... Da7 ne maintenait guère d'espoir, il valait théoriquement mieux que ce que joua Van Wely : 32... exd3 (avec sans doute une arrière-pensée d'arnaque) 33. Fxf7 Txa2 34. Dg8+ (et pas 34. Rxa2 ?? Ta8+ 35. Rb1 Ta1 mat : on comprend l'intérêt d'avoir un pion en d3, qui ferme la souricière) Re7 35. Rxa2 (et non pas le catastrophique Dxb8 à cause du mat en a1). Ici, les Noirs abandonnèrent car même s'ils allaient récupérer la dame, ils seraient restés avec une tour de moins.


Sur les autres échiquiers, cela flamba aussi. Vishy Anand, avec les Noirs, mangea tous les pions soi-disant empoisonnés que lui offrit Alexandre Motylev et s'en trouva très bien. Victoire en 31 coups pour l'Indien. Face à Rouslan Ponomariov qui fit preuve d'une certaine désinvolture, Levon Aronian goba aussi trois pions et le point entier. Peter Svidler ne se démonta pas devant la relativement peu usitée défense scandinave de Sergueï Tiviakov, lequel, loin de jouer ses meilleurs échecs, se fit consciencieusement "masser" par le Russe avant d'abandonner au 65e coup. Avec les Blancs, le petit prodige norvégien Magnus Carlsen connut de bien difficiles moments face au Tchèque David Navara. Celui-ci commit une bourde monumentale... que Carlsen ne vit pas. Dans la position du diagramme ci-contre, les Blancs auraient dû jouer le simplissime 32. c6 ! Après 32... Dxb5 33. axb5 bxc6 34. bxc6 et la tour noire ne peut, même si elle se sacrifie, empêcher l'apparition d'une nouvelle dame sur l'échiquier. Le Norvégien ne vit pas c6 (comme quoi, se tromper arrive même au Mozart des échecs) et finit même par perdre la partie.
Enfin, on attendait beaucoup du retour de Vladimir Kramnik pour sa première apparition depuis sa défaite contre Deep Fritz (et depuis son tout récent mariage, fin décembre). Après une nulle avec les Noirs contre Kariakine, le Russe était opposé, hier, à Alexeï Shirov. Partie tranquille avec un petit avantage au champion du monde, qui augmente doucement au cours de la partie. Par ailleurs, Shirov a perdu beaucoup plus d'une heure dans l'ouverture... Tout cela ne concourt pas à la sérénité et l'Espagnol d'adoption sort la bourde du jour et abandonne sur le champ, n'attendant pas de voir si Kramnik va imiter Carlsen dans l'aveuglement. Dans la position du diagramme, pour l'emporter, que doit jouer le champion du monde ? La réponse est aisée, je vous laisse la trouver.
Après deux rondes, sept grands maîtres sont à égalité avec 1,5 point : Topalov, Navara, Kramnik, Anand, Aronian, Svidler et Radjabov. Kariakine a marqué 1 point tandis que Shirov, Tiviakov, Ponomariov, Carlsen et Motylev suivent avec 0,5 point. Van Wely ferme la marche avec une triste bulle.

12 janvier 2007

Nouveau débat sur les nulles par convention mutuelle

Est-ce pour anticiper un débat qui ne manquera pas de surgir à Wijk-aan-Zee ? Ou n'est-ce qu'une coïncidence ? Le fait est que, mercredi 10 janvier, l'Association des professionnels des échecs (ACP) a lancé un sondage sur les nulles par consentement mutuel auprès de ses membres, mais aussi auprès de tous les maîtres et grands maîtres qui souhaiteraient y participer. L'ACP explique ainsi sa démarche : un sujet très important est apparu récemment "à la suite des tournois de haut niveau de Corse et de Sofia : lutter contre les nulles de salon. Les nulles de salon provoquent fréquemment des plaintes de la part des organisateurs et de la déception pour le public. Tout ceci a fait l'objet d'une discussion récente au sein du bureau de l'ACP. Nous avons donc décidé de faire un sondage pour nous rendre compte de la façon dont vous voyez le problème."
Le sondage ne compte que deux questions. " 1. Une offre de nulle devrait être : a/ permise à tout moment de la partie (actuelles règles de la FIDE) b/ permise après que 30 coups ont été joués c/ permise après que 40 coups ont été joués d/ permise après que 50 coups ont été joués e/ pas permise du tout (règle corse) f/ ne se prononce pas. 2. Une offre de nulle, faite au moment où elle est autorisée, devrait impliquer une pénalité au temps au cas où elle est refusée : a/ oui b/ non c/ ne se prononce pas." Le sondage court jusqu'au 31 janvier. Pour ceux qui ne la connaissent pas, je rappelle que l'ACP est une association de droit français (association loi 1901), qui avait été lancée en 2003 par environ 200 joueurs et organisateurs afin de devenir pour les échecs ce que l'ATP est pour le tennis, c'est-à-dire le défenseurs des joueurs et l'organisateur des grands rendez-vous internationaux. Elle compte aujourd'hui 300 membres dont Kramnik, Anand, Leko, Adams, Bareïev, Svidler, Polgar, Radjabov, Short, Shirov, etc. Chez les Français, bien représentés, on peut citer notamment les joueurs que sont Joël Lautier, Etienne Bacrot, Robert Fontaine, Vladislav Tkatchiev, Almira Skripchenko (trésorière de l'ACP), les arbitres Stéphane Escafre et Jean-Claude Templeur, sans oublier l'organisateur corse Léo Battesti et le président de la Fédération française des échecs, Jean-Claude Moingt, au titre de maître FIDE.
J'ai déjà évoqué le sujet des nulles de salon dans un précédent article que vous pouvez relire et je ne vais donc pas m'appesantir là-dessus. En revanche, je vous invite à laisser vos commentaires sur ce problème... si toutefois vous estimez que c'en est un ! Par ailleurs, j'ai constaté une baisse de la fréquentation sur le blog, que j'attribue en partie au fait que certains liens conduisant vers Echecs Info ont, par l'usure normale d'Internet, disparu des sites ou bien sont descendus très bas dans les pages. Je l'ai constaté en analysant les chemins que les internautes empruntent pour parvenir jusqu'ici. Si vous appréciez ce que j'écris et si vous gérez un site, un blog, ou si, dans votre club ou ailleurs, vous connaissez un webmestre "échiquéen", merci de faire un peu de publicité...

11 janvier 2007

A la veille de Wijk-aan-Zee

Demain commence le grand tournoi de Wijk-aan-Zee (ou Corus Chess Tournament) qui se joue, jusqu'au 28 janvier, dans une station de la côte néerlandaise. Traditionnellement, il s'agit du premier grand rendez-vous de l'année en rythme classique et une bonne fraction des meilleurs joueurs du monde y est invitée. En réalité, il y a trois tournois fermés de maîtres (le A, le B et le C, qui commencent le 13 janvier) et plusieurs autres compétitions mais, évidemment, c'est le Corus A qui attire tous les regards. Cette année sera particulière car, après les tensions du championnat du monde d'Elista, le Bulgare Vesseline Topalov et son vainqueur, le Russe Vladimir Kramnik, respectivement numéros 1 et 3 au classement FIDE, vont se retrouver autour d'un échiquier. Leur rivalité risque d'ailleurs d'être arbitrée par l'Indien Viswanathan Anand (photo ci-contre), numéro 2 mondial. En effet, les trois hommes se tiennent dans un mouchoir de poche au classement Elo. En 2006, Topalov a inscrit pour la première fois son nom au palmarès, en terminant premier ex-aequo avec Anand (dont c'était la 5e victoire). Quant à Kramnik, il a rarement brillé dans le tournoi néerlandais, hormis un succès en 1998 (ex-aequo avec Anand).
Il se peut tout de même qu'un autre homme (aucune femme ne joue le Corus A cette année) vienne mettre son grain de sel dans le combat que ne manqueront pas de se livrer les trois champions précités. Avec une moyenne Elo à 2719, le tournoi bat son record de 2006 et l'on ne peut faire abstraction des autres favoris que sont Levon Aronian, Teimour Radjabov, Peter Svidler ou Rouslan Ponomariov, voire Alexeï Shirov, si le bouillant Espagnol d'adoption fait preuve de constance. Outre Radjabov (19 ans), la jeune garde montante sera bien représentée, avec le Tchèque David Navara (21 ans), le Norvégien Magnus Carlsen (16 ans) ou l'Ukrainien Sergueï Kariakine, qui fêtera ses 17 ans demain. Les deux régionaux de l'étape seront Loek van Wely et le Néerlandais d'adoption Sergueï Tiviakov. Enfin, Alexandre Motilev aura la redoutable tâche de disposer du plus faible Elo du tournoi.
On l'aura remarqué, aucun Français ne figure dans cette liste de 14 joueurs, Etienne Bacrot n'ayant pas été réinvité après une saison en demi-teinte au cours de laquelle il a accompli sa véritable initiation parmi l'élite. J'ai parlé de cette année 2006 à Etienne récemment et il m'a expliqué que "le niveau de préparation est plus fort dans le top 10 que ce que je pensais. A 10 places près, le niveau est vraiment différent. On va voir maintenant si je peux revenir parmi les meilleurs", ce qui lui vaudra sans doute de nouvelles invitations dans les très grands tournois. Pas de Français, donc, dans le Corus A, mais notre grand espoir Maxime Vachier-Lagrave (16 ans) jouera le Corus B. Il aura d'ailleurs fort à faire, puisque certains de ses adversaires, comme le Russe Dimitri Yakovenko, le Moldave Viktor Bologane et l'Arménien Gabriel Sarguissian (entre autres) pourraient parfaitement avoir leur place dans le Corus A. D'ailleurs, une victoire dans le B est synonyme d'invitation pour le A de l'année suivante. Quant au tournoi C, dans lequel figure une moitié de joueurs néerlandais, le favori sera le Polonais Michal Krassenkov, 52e joueur mondial.
Je ne vous promets pas de suivre le tournoi au jour le jour car j'ai beaucoup de travail en ce moment, mais vous serez régulièrement tenus informés de son évolution et je vous ferai partager quelques-unes des parties qui m'auront intéressé.

10 janvier 2007

Un exemple de maîtrise

Afin de poursuivre sur la thématique de l'article d'hier, voici une autre partie que Peter Leko a remportée à Odessa. Non pas que je sois un fanatique du Hongrois, mais simplement pour lui rendre ce qui lui est dû, après cette victoire très convaincante. La partie en question a été disputée lors des quarts de finale, contre le Russe Sergueï Roublevski. Les données sont simples : ayant perdu, avec les Noirs, la première partie, Roublevski doit absolument l'emporter s'il veut avoir une chance de jouer les tie-breaks. Aux commandes des pièces blanches, il propose une partie écossaise, remise au goût du jour il y a quelques années par Kasparov, histoire d'ouvrir les lignes au centre. N'ayant plus le choix, il est bien décidé à y aller à fond, comme le prouve la décision qu'il prend au 16e coup. Dans la position du diagramme ci-contre, Roublevski ne veut pas se contenter d'un calme 16. Te1. Il pousse son pion en d5, initiant une suite tactique qu'il croit être à son avantage : 16... cxd5 17. cxd5 Cxd5 (ne perd pas la pièce malgré les apparences, en raison du vis-à-vis entre la tour noire et la dame blanche) 18. Fxd5 De5 (pour récupérer la pièce clouée) 19. Fxf7+ (enfin... faussement clouée !) Rxf7 20. Dh5+ Rg8 21. g4. Ce coup est censé gagner une pièce puisque le fou f5 est cloué. Mais Peter Leko, tout en maîtrise, savait que l'avancée du pion "g" présentait un inconvénient pour les Blancs...
Après 21... De4 (déclouage) 22. gxf5 Txf5 23. Dh3, les Blancs ne sont en fait pas mieux du tout malgré leur avantage matériel. En effet, dans la position du diagramme, les Noirs ont une ressource qui leur assure la nullité automatiquement. Il s'agit de 23... Td6. La menace n'est rien moins que Tg6+, qui oblige les Blancs à donner la dame (on comprend aussi la finalité de De4, qui contrôle les cases blanches g2 et h1). Le Russe est donc contraint de trouver une case de fuite à son souverain exposé. Et il n'y a pas 36 manières de le faire. Il y en a en fait deux, et toutes deux mènent à la nullité. Prenons d'abord la possibilité qu'a écartée Roublevski : 24. f4 Tg6+ 25. Rf2. Ici les Noirs ont deux options et je suis à peu près persuadé que Leko aurait choisi la plus simple, à savoir 25... Dc2+ 26. Re1 (Rf3 perd à cause de 26... Th5 !! qui dévie la dame de la case g2 où la dame noire va ensuite mater le roi blanc) Dc3+ 27. Re2 (Fd2 est exclu à cause de Dxh3 ; Rd1 est interdit à cause de Dxa1 + ; et je ne conseille pas Rf2 à cause de Txf4+ qui gagne rapidement) Dc2+ et nulle par échec perpétuel. L'autre option des Noirs, après 24. f4 Tg6+ 25. Rf2 est Tf4+ !? 26. Re1 (Fxf4 échoue après Dxf4+ 27. Re2 De5+ 28. De3 Db2+ 29. Rd3 Td6+ 30. Re4 Te6+ gagne la dame) Db4+ 27. Fd2 Txf1+ 28. Rxf1 Dxd2 et la position est égale). Je n'ai donné ici que les sous-variantes principales. Dans la position du diagramme, Roublevski préfère déplacer sa tour, pour laisser la case f1 au roi. Mais le Russe ne peut mettre sa tour n'importe où. En fait, seul le coup Tfe1 ne perd pas car, sur Dc4+ ou sur Dd3+ qui ne manquera pas d'arriver après Tg6+, il faut pouvoir interposer la tour en e2.
Roublevski voit le risque et joue 24. Tfe1 Tg6+ 25. Rf1 Dc4+ 26. Te2 Dd5 (menace mat en h1) 27. Td2 Dc4+ 28. Te2 Dd5. Là, pour éviter la répétition de coups, synonyme de nulle et d'élimination, le Russe tente 29. f4 ? (voir diagramme ci-contre), qui scelle sa défaite. Leko riposte par 29... Dh1+ 30. Rf2 Dxa1 31. Dxf5 (l'erreur fatale mais il n'y a pas d'échappatoire de toute façon) Dg1+ 32. Rf3 Dh1+ et les Blancs abandonnent car le mat est imparable : 33. Rf2 Tg2+ 34. Rf3 Tg1+ 35. Rf2 (ou Tg2) et la dame donne le coup de grâce en g2.

09 janvier 2007

Peter Leko a retrouvé sa solidité légendaire

On l'apprécie ou on ne l'apprécie pas, mais force est de constater que Peter Leko est un coriace, un costaud de l'échiquier. En témoigne sa victoire hier face à l'Ukrainien Vassili Ivantchouk, en finale de la première coupe du monde d'échecs rapides organisée par l'Association des professionnels des échecs (ACP) à Odessa (Ukraine). Le Hongrois (photo ci-contre) n'est pas le client idéal pour un journaliste, il faut bien le reconnaître : un jeu en béton armé, pas mal de parties nulles, peu de sourires, une réputation d'ascète et une histoire personnelle peu folichonne. Pourtant, c'est une véritable vedette dans son pays. Il faut dire qu'il a été le premier Hongrois à disputer une finale de championnat du monde d'échecs, face à Vladimir Kramnik en 2004. Ses pairs le surnomment volontiers « Marathon Man », notamment en raison de sa parfaite condition physique. Cet ancien prodige - il fut, à son époque, le plus jeune grand maître de l'histoire, à l'âge de 14 ans - , qui appartient au Top 10 des joueurs depuis 1999, est aussi admiré pour sa faculté à rassembler toutes ses ressources lorsqu'il est en difficulté. Le chroniqueur échiquéen américain Michael Greengard décrivit un jour Peter Leko comme « un garçon capable de défendre Alamo avec un couteau à beurre »... La contrepartie de ces qualités a souvent été une tendance à accepter facilement la nulle, au point que Michael Greengard, toujours lui, donna le nom de "Leko" à ces parties insipides se terminant par le partage du point.
On a cru, dans cette armure, discerner une faille après le championnat du monde contre Kramnik, à Brissago (Suisse). On se souvient que le Hongrois avait été mené au score très vite, puis retourné la situation à son avantage (notamment à la suite d'une partie fameuse dont j'ai déjà parlé ici) avant de disposer d'un point d'avance au seuil de la 14e et dernière rencontre... qu'il avait perdue. Kramnik, champion du monde en titre, avait donc conservé sa couronne comme le prévoyait le réglement en cas d'égalité finale. Etait-ce le contrecoup de Brissago ? Leko, l'homme qui faisait nulle plus vite que son ombre, avait-il été ébranlé par cette incapacité à annuler la partie la plus importante de sa carrière ? Le fait est que le Hongrois connut par la suite une période un peu sombre : 3 défaites au tournoi de Dortmundt en 2005 (c'est beaucoup pour lui qui lâchait d'ordinaire très peu de points), un championnat du monde à San Luis médiocre (même pas 50 % des points), un début de saison 2006 en demi-teinte, que ce soit à Wijk-aan-Zee, à Linarès ou à Dortmundt, une petite dégringolade au classement Elo (un passage de 2763 à 2738 points en moins d'un an)... Heureusement pour Peter Leko, le sursaut est intervenu au Mémorial Tal il y a quelques semaines et la victoire d'Odessa semble confirmer que le Hongrois a remis la machine en route (il est d'ailleurs dommage qu'il ne joue pas à Wijk-aan-Zee dans quelques jours).
Dans la finale d'hier, tout s'est joué dans le deuxième blitz de départage. Bien que les nulles par convention mutuelle fussent interdites dans ce tournoi, les deux parties rapides et le premier blitz s'étaient achevés par le partage du point. Avec les Noirs, Ivantchouk avait osé la défense Alekhine (sur 1. e4, les Noirs n'avancent pas de pion mais attaquent le fantassin blanc avec leur cavalier Cf6, incitant les Blancs à pousser une nouvelle fois le pion en e5 pour menacer l'impudent bourrin) et remit le couvert lors de ce second blitz. Mauvaise idée. Cette fois-ci, Leko allait rapidement prendre le dessus en alignant toutes ses forces pour une percée au centre et à l'aile-dame. Au 20e coup, Ivantchouk tenta d'échapper à la pression par Cc5 (voir diagramme ci-contre), menaçant notamment le pion b3 et une fourchette tour-dame. En réalité, les Blancs peuvent très bien jouer 21. b4 et accepter la fourchette car, après 21... Cb3 22. Fxb6 attaque la dame (qui est surchargée puisqu'elle protège aussi le fou d7) Cxd2 23. Fxd8 Cxf3+ 24. Fxf3. Ici, une tour noire va prendre le fou en d8, puis les Blancs vont gagner le pion b7. Si les Noirs répliquent par Tb8, arrive l'échec intermédiaire Fd5+ et les Blancs avancent le pion en b5 au coup suivant. Résultat : ils disposent d'un pion de plus et d'une redoutable paire de pions à l'aile-dame, qui sera sans doute très difficile à arrêter sans casse pour les Noirs. Mais Leko ne s'encombra pas de ces complications. Il choisit l'autre option, c'est-à-dire la prise du cavalier : 21. Fxc5 Txc5 22. b4 et Ivantchouk opta pour l'option la moins désespérante en sacrifiant la qualité (après le recul de la tour, les Blancs attaquent tout de suite le cavalier par 23. c5 et ont un jeu magnifique). Malheureusement, c'était loin de suffire pour contrer l'initiative de son adversaire. Après 22... Txc4 23. Fxc4+ Cxc4 24. Dd5+ Fe6 25. Dxb7 : les Blancs ont une qualité nette.
On vit, quelques coups plus tard, qu'Ivantchouk ne s'en tirerait pas, avec un fou impuissant en h8 bloqué par ses propres pions et des pièces mal coordonnées dans un petit périmètre. A l'inverse, Leko se promenait derrière les lignes noires avec un superbe couple dame-cavalier tandis que, à distance, ses deux tours contrôlaient (ou allaient contrôler) les colonnes ouvertes "c" et "d". Après le 27e coup noir, on arriva à la position du diagramme ci-contre. Ici, le Hongrois joua 28. Cc7 ! qui attaque la tour tout en coupant la communication entre la dame et le cavalier. Seule réponse : 28... Td8 29. Ted1 augmente la pression sur le cavalier 29... Dxb4 lui apporte une protection supplémentaire mais éloigne la dame du champ de manoeuvre tout en l'exposant. Tout est ensuite allé très vite : 30. Ca6 (attaque la dame) Da3 31. Dc7 (s'en prend désormais à la tour) Tc8 32. Dxd6 Txc1 et Ivantchouk abandonna en s'apercevant qu'il perdait sa dame.