Peter Leko a retrouvé sa solidité légendaire
On l'apprécie ou on ne l'apprécie pas, mais force est de constater que Peter Leko est un coriace, un costaud de l'échiquier. En témoigne sa victoire hier face à l'Ukrainien Vassili Ivantchouk, en finale de la première coupe du monde d'échecs rapides organisée par l'Association des professionnels des échecs (ACP) à Odessa (Ukraine). Le Hongrois (photo ci-contre) n'est pas le client idéal pour un journaliste, il faut bien le reconnaître : un jeu en béton armé, pas mal de parties nulles, peu de sourires, une réputation d'ascète et une histoire personnelle peu folichonne. Pourtant, c'est une véritable vedette dans son pays. Il faut dire qu'il a été le premier Hongrois à disputer une finale de championnat du monde d'échecs, face à Vladimir Kramnik en 2004. Ses pairs le surnomment volontiers « Marathon Man », notamment en raison de sa parfaite condition physique. Cet ancien prodige - il fut, à son époque, le plus jeune grand maître de l'histoire, à l'âge de 14 ans - , qui appartient au Top 10 des joueurs depuis 1999, est aussi admiré pour sa faculté à rassembler toutes ses ressources lorsqu'il est en difficulté. Le chroniqueur échiquéen américain Michael Greengard décrivit un jour Peter Leko comme « un garçon capable de défendre Alamo avec un couteau à beurre »... La contrepartie de ces qualités a souvent été une tendance à accepter facilement la nulle, au point que Michael Greengard, toujours lui, donna le nom de "Leko" à ces parties insipides se terminant par le partage du point.
On a cru, dans cette armure, discerner une faille après le championnat du monde contre Kramnik, à Brissago (Suisse). On se souvient que le Hongrois avait été mené au score très vite, puis retourné la situation à son avantage (notamment à la suite d'une partie fameuse dont j'ai déjà parlé ici) avant de disposer d'un point d'avance au seuil de la 14e et dernière rencontre... qu'il avait perdue. Kramnik, champion du monde en titre, avait donc conservé sa couronne comme le prévoyait le réglement en cas d'égalité finale. Etait-ce le contrecoup de Brissago ? Leko, l'homme qui faisait nulle plus vite que son ombre, avait-il été ébranlé par cette incapacité à annuler la partie la plus importante de sa carrière ? Le fait est que le Hongrois connut par la suite une période un peu sombre : 3 défaites au tournoi de Dortmundt en 2005 (c'est beaucoup pour lui qui lâchait d'ordinaire très peu de points), un championnat du monde à San Luis médiocre (même pas 50 % des points), un début de saison 2006 en demi-teinte, que ce soit à Wijk-aan-Zee, à Linarès ou à Dortmundt, une petite dégringolade au classement Elo (un passage de 2763 à 2738 points en moins d'un an)... Heureusement pour Peter Leko, le sursaut est intervenu au Mémorial Tal il y a quelques semaines et la victoire d'Odessa semble confirmer que le Hongrois a remis la machine en route (il est d'ailleurs dommage qu'il ne joue pas à Wijk-aan-Zee dans quelques jours).
Dans la finale d'hier, tout s'est joué dans le deuxième blitz de départage. Bien que les nulles par convention mutuelle fussent interdites dans ce tournoi, les deux parties rapides et le premier blitz s'étaient achevés par le partage du point. Avec les Noirs, Ivantchouk avait osé la défense Alekhine (sur 1. e4, les Noirs n'avancent pas de pion mais attaquent le fantassin blanc avec leur cavalier Cf6, incitant les Blancs à pousser une nouvelle fois le pion en e5 pour menacer l'impudent bourrin) et remit le couvert lors de ce second blitz. Mauvaise idée. Cette fois-ci, Leko allait rapidement prendre le dessus en alignant toutes ses forces pour une percée au centre et à l'aile-dame. Au 20e coup, Ivantchouk tenta d'échapper à la pression par Cc5 (voir diagramme ci-contre), menaçant notamment le pion b3 et une fourchette tour-dame. En réalité, les Blancs peuvent très bien jouer 21. b4 et accepter la fourchette car, après 21... Cb3 22. Fxb6 attaque la dame (qui est surchargée puisqu'elle protège aussi le fou d7) Cxd2 23. Fxd8 Cxf3+ 24. Fxf3. Ici, une tour noire va prendre le fou en d8, puis les Blancs vont gagner le pion b7. Si les Noirs répliquent par Tb8, arrive l'échec intermédiaire Fd5+ et les Blancs avancent le pion en b5 au coup suivant. Résultat : ils disposent d'un pion de plus et d'une redoutable paire de pions à l'aile-dame, qui sera sans doute très difficile à arrêter sans casse pour les Noirs. Mais Leko ne s'encombra pas de ces complications. Il choisit l'autre option, c'est-à-dire la prise du cavalier : 21. Fxc5 Txc5 22. b4 et Ivantchouk opta pour l'option la moins désespérante en sacrifiant la qualité (après le recul de la tour, les Blancs attaquent tout de suite le cavalier par 23. c5 et ont un jeu magnifique). Malheureusement, c'était loin de suffire pour contrer l'initiative de son adversaire. Après 22... Txc4 23. Fxc4+ Cxc4 24. Dd5+ Fe6 25. Dxb7 : les Blancs ont une qualité nette.
On vit, quelques coups plus tard, qu'Ivantchouk ne s'en tirerait pas, avec un fou impuissant en h8 bloqué par ses propres pions et des pièces mal coordonnées dans un petit périmètre. A l'inverse, Leko se promenait derrière les lignes noires avec un superbe couple dame-cavalier tandis que, à distance, ses deux tours contrôlaient (ou allaient contrôler) les colonnes ouvertes "c" et "d". Après le 27e coup noir, on arriva à la position du diagramme ci-contre. Ici, le Hongrois joua 28. Cc7 ! qui attaque la tour tout en coupant la communication entre la dame et le cavalier. Seule réponse : 28... Td8 29. Ted1 augmente la pression sur le cavalier 29... Dxb4 lui apporte une protection supplémentaire mais éloigne la dame du champ de manoeuvre tout en l'exposant. Tout est ensuite allé très vite : 30. Ca6 (attaque la dame) Da3 31. Dc7 (s'en prend désormais à la tour) Tc8 32. Dxd6 Txc1 et Ivantchouk abandonna en s'apercevant qu'il perdait sa dame.
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