Ronde 3 : Radjabov refroidit le bouillant Shirov
Incontestablement, la partie que l'on retiendra de cette troisième ronde de Wijk-aan-Zee sera celle qui a opposé hier, Alexeï Shirov, avec les Blancs, à Teimour Radjabov. L'Azerbaïdjanais (ci-contre, photo Fred Lucas/Momentoo) remet au goût du jour la défense est-indienne, chère à Bobby Fischer et à Garry Kasparov, tombée un peu en désuétude après que ledit Garry l'eut délaissée. Les subtilités d'aujourd'hui ne sont pas forcément les mêmes qu'autrefois mais le schéma global de la partie a souscrit aux standards de l'est-indienne : les Blancs s'imposaient au centre en perçant la chaîne de pions ennemie, tandis que les Noirs fondaient tous leurs espoirs dans une contre-attaque à l'aile-roi, soutenue et menée par les pions.
Le "Radjah" savait visiblement ce qu'il faisait et il aurait sans doute fallu un tantinet de prudence de la part de Shirov (qui n'est pas un spécialiste en la matière...) pour s'apercevoir du danger. En réalité, les apparences de la position ci-contre sont trompeuses : les Blancs n'ont aucun coup gagnant à leur disposition. Se contenter de chercher la nulle est apparemment le mieux qu'ils puissent faire mais peut-être est-ce déjà trop tard. J'ai retourné la position dans bien des sens et j'ai l'impression que l'attaque-éclair que l'association pions-dame noire se prépare à lancer est plus rapide et plus efficace que tout jeu des Blancs. Si vous avez des suggestions pour sauver Shirov à ce point de la partie, je suis preneur... En attendant, voilà ce qui se passa : l'Espagnol joua 31. Txe6 ?! Txd5 32. Th6+ Rg8 33. Fc4.
Nous en étions donc à la position du diagramme ci-contre. La tour d5 est affreusement clouée et on a l'impression que les Blancs vont récupérer du matériel en pagaille. Mais il ne s'agit que d'une illusion. Le rouleau-compresseur des pions noirs va se mettre en action et l'emporter. Radjabov joua 33... gxf3+ 34. Rh1 (les autres coups perdent instantanément, par exemple 34. Rxf3 Dh3 35. Rf2 De3+ 36. Rg2 [Rf1 Df3+ ramasse la tour d1 et va ratisser le fou c4 après] Dxe4+ 37. Rg1 Dxc4) Cxh5. Je me demande si 34... Dh3, menaçant mat en g2, n'aurait pas été une manière plus forte de mener à la victoire avec l'idée que si 35. Fxd5+ Tf7 36. Tg6 (pour parer le mat) f2 !? 37. Tg2 Dd3 ! 38. Txd3 f1D+ 39. Tg1 Dxd3 40. h6 Rh7 41. Fxf7 Dxe4+ 42. Tg2 Rxh6 et les Noirs gagnent aisément. Après 34... Cxh5 35. Tg1+ Cg3+ ! 36. Txg3+ fxg3 37. Txh4 g2+ 38. Rg1 f2+ 39. Rxg2 f1D+ 40. Fxf1 Td2+ 41. Rg3 Txb2, les Noirs ont une qualité de plus (mais un pion de moins). Shirov allait ensuite déraper dans la finale, facilitant la tâche de Radjabov.
Sur les autres échiquiers, je ne reviens pas sur la nulle rapide de Tiviakov et Kramnik, où les deux champions ont récité les coups jusqu'à une finale de tours et pions complètement égale. Opposé, avec les Noirs, à David Navara, Peter Svidler a vité égalisé et maîtrisé son sujet pour obtenir le partage du point au 27e coup. Vishy Anand et Levon Aronian ont livré une rencontre vivante autour du thème du gambit Marshall (partie espagnole), qui s'est achevée par un double sacrifice de pièces de l'Arménien, lui ouvrant la voie à un échec perpétuel. Loek Van Wely, qui avait 0 point, s'est montré entreprenant face à Alexandre Motylev. Mais ce dernier, dans une finale un peu inférieure, sacrifiait son dernier fou sur les deux pions restants des Blancs, ce qui suffisait pour lui assurer le demi-point. Le drame du jour frappait, comme la veille, Magnus Carlsen, lequel, ayant, dans une défense slave, artificiellement placé sa tour en a7, créa tout seul un défaut dans sa position, sur lequel Rouslan Ponomariov n'allait cesser d'appuyer. Le jeune Norvégien fut contraint de donner sa dame contre une tour et un fou, tout en restant empêtré avec une tour enfermée par un fou en b8. Il lâcha encore un pion et abandonna au 30e coup, arrêtant les frais avant de perdre une pièce supplémentaire.
Enfin, sur le dernier échiquier, la défense sicilienne du numéro un mondial, Vesseline Topalov, se faisait malmener par un Sergueï Kariakine affûté. Le pion h4 du Bulgare, trop avancé, finit par tomber, son fou de cases noires, enfermé derrière ses pions d6 et f6, restait longtemps passif et, lorsqu'il sortit de sa retraite, ce fut pour un quitte ou double osé, très osé. Dans la position du diagramme ci-contre, Topalov vient de poser son fou en d2, fermant du même coup la colonne "d", et menaçant donc de gagner la tour blanche. En regardant la position en direct, je me suis dit que Kariakine n'avait que Tc4 pour s'en sortir prudemment, qui avait pour inconvénient, après Fxe1 Dxe1, de perdre le pion d'avance puisque g3 tombe. L'Ukrainien joua d'ailleurs Tc4 et cela mena à la nulle. Mais il existait une incroyable et paradoxale ressource qui, si elle avait été dénichée, aurait probablement apporté la victoire et la gloire à Kariakine : il fallait jouer 42. Dh5 !! qui laisse en prise et la tour et le fou. Un coup qui vaut ses deux points d'exclamation. Evidemment, le fou est imprenable car suit 43. Df7+ Rd8 44. Dxg8+ Rd7 (Re7 45. Tc7 mat) 45. De6+ Rd8 46. Tc8 mat. Si les Noirs croquent la tour, 43. Df7+ Rd6 44. Dxg8 Dg1 (pour sortir la dame de la grande diagonale blanche car si 44... Fxe1 45. Dd8+ Rc6 et 46. Da8 gagne la dame après cette enfilade royale) 45. Dd8+ gagne le fou d2 au coup suivant... Kariakine doit s'en vouloir.
Après cette ronde 3, Radjabov, qui totalise 2,5 points (dont deux gains avec les Noirs), est seul en tête. Le suit un peloton de 6 collègues à 2 points (Topalov, Navara, Anand, Aronian, Svidler et Kramnik) puis Kariakine et Ponomariov (1,5 point), Tiviakov et Motylev (1 point). Enfin, en queue de peloton, on trouve les malheureux Carlsen, Shirov et Van Wely, avec seulement 0,5 point.
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