01 février 2007

C'est fini...

C'est toujours difficile une rupture. Autant, donc, y aller carrément. Ceci est la dernière note d'Echecs Info. Et vous êtes en droit de savoir pourquoi. Echecs Info, tel que je le concevais, et tel que je vous le servais, c'était un exercice journalistique au quotidien, c'était écrire (presque) tous les jours un article sur les échecs et leur actualité. Je me suis aperçu, au fil des semaines (et des mois si on ajoute mon blog précédent) que cela représentait beaucoup de travail si l'on voulait proposer un résultat bien élaboré et correctement écrit. En moyenne une heure et demie par article, un peu plus pour les analyses de parties. Or, je viens de prendre la tête du service Sciences et Environnement du Monde et le temps que je chipais, pour vous, dans les interstices de mon agenda, a disparu. Je ne peux pas me permettre de consacrer toutes ces heures à ce blog si je veux exercer convenablement mes nouvelles fonctions et conserver une vie de famille décente. J'en ai averti ce matin Stéphane Laborde, qui m'avait proposé une association et a sportivement reconnu que ma décision était "un choix respectable". J'espère que vous saurez vous montrer aussi compréhensifs.
Pour autant, je ne regrette pas d'avoir tenté l'aventure. C'était une expérience journalistique passionnante. Simplement, ce n'est pas moi qui vous raconterai si oui ou non les champions d'échecs trichent, si Kramnik jouera le prochain championnat du monde à Mexico, si Maxime Vachier-Lagrave tiendra les promesses que l'on place en lui, etc. Je ne couvrirai pas mon premier Top 16, je n'écrirai pas le portrait de tel ou tel joueur, ni le reportage sur tel ou tel tournoi. D'autres, peut-être, le feront à ma place. Je poursuivrai le traitement minimaliste de l'actualité échiquéenne dont je dois me contenter dans les colonnes du Monde ou sur le site Internet du journal. Ainsi va la vie... Je remercie tous ceux qui m'ont soutenu, tous ceux qui ont parlé de ce blog (en particulier les webmestres qui ont créé des liens vers Echecs Info sur leurs sites), et, enfin, je vous remercie, vous, mes lecteurs. Pour votre fidélité, vos encouragements, vos commentaires. J'espère que nous nous retrouverons, non pas à travers un écran, mais devant un échiquier. Si j'ai le temps de me remettre à jouer...

30 janvier 2007

La Fédération française des échecs s'invite à l'école

Dans quelques jours, la Fédération française des échecs (FFE) va signer une convention cadre avec le ministère de l'éducation nationale. L'objet de cet accord est de développer la pratique du jeu dans les écoles, les collèges et les lycées. Que l'on ne se fasse pas trop d'illusions, cependant : il ne s'agit pas de transformer les échecs en discipline scolaire mais simplement de permettre à la discipline d'avoir un tampon officiel pour s'inviter dans les écoles. C'est un premier pas qu'il faut tout de même saluer. Dans son préambule, la convention cadre rappelle que les échecs constituent "un réel vecteur de formation". Le texte a le mérite d'officialiser ce que l'on savait déjà, c'est-à-dire que le jeu des rois n'est pas qu'un amusement :"le jeu d'échecs, école de concentration et de maîtrise de la pensée, est (...) une école de maîtrise de soi qui favorise l'apprentissage des règles et le respect d'autrui, et à ce titre participe de l'apprentissage de la citoyenneté". Bien sûr, plus classiquement, est aussi mis en avant le développement des capacités intellectuelles, du jugement et de la confiance en soi.
Dans la pratique, cette convention cadre, signée pour une durée de trois ans, vise en particulier les collèges dit "ambition réussite", c'est-à-dire, pour parler clair, ceux qui sont majoritairement fréquentés par des populations confrontées à de grandes difficultés socio-économiques. La FFE mettra du matériel et des enseignants à la disposition des établissements qui le souhaitent et montera des actions de sensibilisation. Il est aussi prévu que le ministère et la Fédération développent l'édition de textes pédagogiques (sites Internet, dépliants, etc...). Je ne vais pas tout détailler car le texte de la convention cadre devrait bientôt être rendu public. L'intérêt de cet accord pour la FFE est multiple. Tout d'abord, les portes de l'école sont officiellement ouvertes aux échecs et les clubs ou les ligues n'auront plus à batailler pour faire passer leur message aux directeurs d'établissements. Ensuite, la discipline va bénéficier, auprès de tous les personnels de l'éducation nationale (soit 1,5 million de personnes), d'une visibilité inédite. Enfin, m'a annoncé Jean-Claude Moingt, le président de la FFE, "le sponsor de la Fédération, BNP-Paribas, va préparer un kit scolaire comprenant notamment une pendule, un jeu, un échiquier mural et du matériel pédagogique. Ce kit sera destiné à tous les clubs qui veulent créer des sections Echecs dans les écoles."
Pour que cette convention cadre soit rédigée, il a fallu un petit coup de pouce du destin, en la personne de Jean-Michel Blanquer, actuel directeur adjoint du cabinet du ministre de l'éducation. M. Blanquer était précédemment recteur de Guyane et avait, à ce titre, collaboré avec la FFE. Visiblement, l'expérience avait été satisfaisante... Comme je l'écrivais plus haut, cette convention est un premier pas encourageant. Reste désormais à la Fédération à la mettre en action. Avec un petit risque qu'évoque Jean-Claude Moingt : "Si cela prend l'ampleur que l'on souhaite, on va manquer de profs d'échecs bien formés..."

29 janvier 2007

Le trio de Wijk-aan-Zee

Wijk-aan-Zee 2007, c'est fini. Et Vesseline Topalov n'est pas parvenu à en être le vainqueur unique. Dans la dernière ligne droite, le Bulgare s'est fait rejoindre par deux joueurs : l'Azerbaïdjanais Teimour Radjabov, qui, après un départ en trombe, avait lâché du lest dans la deuxième partie de la compétition, et l'Arménien Levon Aronian, invaincu au bout de 13 rondes. L'autre seul joueur à n'avoir pas concédé de défaites, le champion du monde Vladimir Kramnik, est à un demi-point du trio de tête car sa propension naturelle au partage du point a quelque peu mis sous l'éteignoir l'atout que représente sa quasi-invincibilité. On se souvient ainsi qu'à la fin des années 1990, le Russe avait totalisé une impressionnante série de 83 parties sans défaite et que, dans son match contre Kasparov en 2000, Kramnik n'avait concédé aucune défaite. Vishy Anand est cinquième. Dans le bas du classement, on trouve, à égalité, Alexeï Shirov qui est passé totalement à côté de son entame de tournoi, et Magnus Carlsen, qui a peiné dans la cour des grands, incapable de remporter la moindre victoire. Cela n'a pas été le cas, dans le tournoi B, pour le petit prodige français des échecs, Maxime Vachier-Lagrave (ci-contre, photo Fred Lucas/Mementoo) : 6 gains, 4 nulles et 3 défaites, pour une deuxième place ex-aequo, méritée, à un point de Pavel Elianov, lequel a ainsi gagné son ticket d'entrée pour le tournoi A en 2008. Dans le tournoi C, c'est le plus fort Elo, le Polonais Michal Krassenkov, qui l'a emporté.
De manière générale, le week-end n'a pas été excellent pour Vesseline Topalov. Obligé de partager la plus haute marche du podium, le Bulgare a aussi appris que la Fédération internationale des échecs rejetait son offre de match-revanche pour le titre mondial face à Vladimir Kramnik. Ce refus avait depuis longtemps été anticipé sur ce blog et sur mon blog précédent, puisque j'avais expliqué que les dates proposées pour disputer ce match étaient incompatibles avec le réglement de la FIDE. Enfin, Topalov a de nouveau été soupçonné de tricherie par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, dont le journaliste présent à Wijk-aan-Zee, le maître FIDE allemand Martin Breutigam, a été intrigué par un curieux jeu de pantomime de Silvio Danailov. Dès que l'adversaire de son protégé avait joué un coup, le manager de Topalov se précipitait hors de la salle de jeu pour donner un mystérieux coup de téléphone, revenait ensuite à grands coups de coudes se placer dans le champ de vision de Topalov, chaussait des lunettes qu'il ne met jamais en temps normal, puis faisait des gestes étranges de la main. Il faut bien reconnaître que cela n'a pas plus de fondement que l'accusation lancée par le même Danailov contre les fameuses toilettes de Kramnik. Mais, en expérimentant à ses dépens la désagréable impression que cela fait d'être soupçonné sans preuve, Topalov a peut-être eu un aperçu de ce qu'a subi, par sa faute, le joueur russe à Elista, pendant une compétition autrement plus importante que le tournoi néerlandais.

25 janvier 2007

Ronde 10 : le festival d'Elianov dans le tournoi B

Une fois n'est pas coutume, je vais aujourd'hui m'intéresser à un joueur qui n'est ni dans le tournoi A, ni français mais le prochain adversaire de Maxime Vachier-Lagrave à Wijk-aan-Zee, demain après-midi : le jeune Ukrainien de 23 ans, Pavel Elianov. Fils du maître international Vladimir Elianov, il joue 1. d4 avec les Blancs, ce qui ne l'empêche pas de développer un jeu assez agressif, comme le montre la partie qu'il a disputée hier avec les Blancs contre le Néerlandais Jan Smeets. Au sortir de l'ouverture, l'Ukrainien a profité d'une certaine désinvolture de son adversaire pour concentrer ses pièces vers le roque dégarni des Noirs. Le point culminant de la partie est survenu dans la position du diagramme ci-contre, au 20e coup des Blancs. Leur cavalier e4 est en prise. Une solution simple consisterait à prendre le cavalier d6 qui le menace mais Elianov trouve une autre voie et joue 20. Fh4 g5 21. Cxd6 Fxd6 (et pas Dxd6 car suit 22. Fxg5 ! et le fou ne peut être repris car après 22... hxg5 23. Dxg5+ gagne la tour d8) 22. Dxh6 ! Ce coup, qui marque le démarrage d'un festival tactique, abandonne le fou h4 à son triste sort mais, en prenant en h6, les Blancs ont ajouté une pression supplémentaire sur la case e6 qui va céder. En effet, après 22... gxh4, Elianov envoie la sauce par 23. Cxe6 (menace à la fois la tour et mat en g7) Fe5 (surveille h7 car le cavalier est imprenable en raison de la suite 23... fxe6 24. Fxe6+ gagne la dame) 24. Cxd8.
Nous avons abouti à la position du diagramme ci-contre. Ici, Smeets a préféré jouer 24... Fg7 Mais il faut dire que l'autre option évidente, à savoir 24... Dxd8, ne vaut guère mieux parce que déboule 25. Dg6+ (profitant du clouage du pion f7) Rh8 (forcé sinon c'est mat) 26. Dh5+ Rg7 27. Dxf7+ Rh6 28. Tad1 (sort la tour tout en clouant le cavalier) Df6 29. Txd7 Fxd7 29. Dxd7. Les deux adversaires ont le même nombre de pièces mais il y a quelques pions de plus côté blanc... Après le coup de la partie, 24... Fg7, les Blancs profitèrent de la faiblesse de f7 pour entrer rapidement en finale : 25. Fxf7+ Rf8 26. Ce6+ Rxf7 27. Cxg7 Df6 (probablement la moins mauvaise option) 28. Dxf6+ Cxf6 29. Tfd1 ! Les Blancs se permettent encore un sacrifice car ils savent qu'au bout du compte, en échangeant la tour noire restante, ils ne laisseront aucun contre-jeu à leur adversaire et qu'ils auront tout de même l'avantage numérique. La partie s'acheva par 29... Rxg7 30. Td8 b5 31. Tc1 Fb7 (forcé) 32. Tc7+ Rg6 33. Txa8 Fxa8 34. Ta7. Une technique brutale mais très efficace. Les Noirs abandonnent car les Blancs vont récupérer le pion a7. Elianov, avec Tour+6 pions, est gagnant face aux Fou+Cavalier+2 pions de Smeets.

24 janvier 2007

Flash : Topalov prend le large

Comme je l’écrivais un peu plus tôt dans la journée, Anand a un « boulevard » devant lui pour la fin du tournoi de Wijk-aan-Zee. Il l’a prouvé aujourd’hui, contre Kariakine, en montrant avec brio que sacrifier une dame contre tour+pièce mineure+ pion est sans doute correct en théorie mais parfois dangereux dans la pratique. Victoire de l’Indien en 63 coups. C’était d’ailleurs la journée des réfutations car Topalov a accepté un sacrifice de pièce de Carlsen puis a tranquillement défendu sa position, jusqu’à ce que le Norvégien concède qu’il n’avait rien obtenu en échange de son cadeau. Toutes les autres parties du tournoi A se sont achevées par le partage du point. Mais il y a nulle et nulle. Des nulles de combat comme les parties Shirov-Ponomariov ou Van Wely-Aronian, et des nulles de salon comme les rencontres Tiviakov-Navara, Radjabov-Svidler et Motylev-Kramnik. Topalov a désormais 1 point entier d’avance sur Teimour Radjabov et 1,5 point sur le quatuor Anand, Aronian, Svidler, Kramnik. Dans le tournoi B, les choses se compliquent pour Maxime Vachier-Lagrave, qui, avec les Noirs, a subi la loi de Dimitri Yakovenko tandis que deux de ses trois poursuivants immédiats, Bologane et Elianov, marquaient le point complet et le rattrapaient à la première place du classement. Il faut que le Français se remette vite de cette défaite car vendredi, il aura de nouveau une grosse partie (mais avec les Blancs) contre Elianov, justement.