Echecs et médias
Vous me permettrez, aujourd'hui, une note moins liée à l'actualité que de coutume. Quoique. Dans les prochaines heures, le site DiagonaleTV.com de Stéphane Laborde, qui commercialise de la vidéo à la demande dans le domaine des échecs, mettra en ligne un débat filmé accueillant Joanna Pomian, la secrétaire générale de la Fédération française des échecs (FFE), et moi-même, le tout arbitré par Stéphane Laborde. Le thème : échecs et médias, ou plutôt pourquoi la médiatisation de la discipline est-elle si faible et, pis encore, en recul. Ce désamour, en France, entre les grands canaux d'information classiques (télévision, radio, presse généraliste) et les échecs est apparu au grand jour lors du dernier championnat du monde entre Vladimir Kramnik et Vesseline Topalov, cet automne. Et ce bien qu'il s'agisse du match de réunification tant attendu depuis des années ! Alors que des journaux comme Le Monde ou Libération, une agence de presse comme l'AFP ou bien une radio comme France Info, suivaient auparavant avec régularité ce genre d'événement majeur, on a eu l'impression, à l'occasion de la confrontation d'Elista, que les échecs n'intéressaient plus personne dans l'Hexagone. Autre remarque : il est symptomatique de voir que le seul quotidien sportif français, L'Equipe, ne considère toujours pas les échecs comme un sport.
Le débat sur DiagonaleTV a clairement fait ressortir plusieurs causes à cela. Tout d'abord, le fait que le public échiquéen est mal cerné et que le petit monde des amateurs est loin d'avoir atteint une taille critique. Ensuite, le fait que la France, malgré quelques étincelles en championnat d'Europe des clubs et une bonne place dans le Top 100 mondial, n'ait pas de rendez-vous majeur au calendrier (sauf, peut-être, le circuit corse), à la différence de pays comme l'Allemagne ou l'Espagne où le sport est mieux implanté, y compris dans les médias (voir par exemple le nombre d'articles sur les échecs dans le quotidien sportif espagnol Marca). Il y aussi, autre facteur majeur, un problème d'éducation : alors que les qualités pédagogiques du jeu sont connues et identifiées depuis longtemps, l'exemple corse d'implantation des échecs dans les écoles primaires n'a pas été étendu. J'aimerais ajouter une autre cause, qui n'a pas été évoquée durant l'émission : l'image médiocre du jeu, les clichés qui lui collent à la peau. Le scandale d'Elista n'a pas dû améliorer les choses et, pour beaucoup, les échecs s'apparentent à un jeu mathématique compliqué réservé, au mieux, à une élite masculine intellectuelle, au pire à des paranoïaques associaux. L'image des échecs auprès du public féminin ne me semble vraiment pas terrible.
Tout cela mis bout à bout fait que, dans un monde médiatique où le flux d'informations va croissant, où les contraintes d'audience sont accentuées, où les politiques de communication sont de plus en plus efficaces auprès de certains journalistes, les choix des rédactions en chef sont de plus en plus draconiens. Pour toutes ces raisons, bonnes ou mauvaises, les échecs connaissent un creux dans les médias traditionnels : ils ne savent (ou ne peuvent) pas susciter un minimum de curiosité positive à leur égard. Bien des journaux se laissent en effet entraîner par le courant principal de l'info (auquel n'appartiennent pas les échecs). Corollaire : se ressemblant tous, ils finissent par lasser leurs lecteurs, qui leur préfèrent, malgré tous ses défauts et son manque de professionnalisme, le média en apparence plus diversifié et plus proche qu'est Internet. Tout le problème, qui dépasse largement le cadre du débat que j'ai eu avec Joanna Pomian et Stéphane Laborde, c'est que le Web n'est pas assez mûr pour financer du journalisme échiquéen. Même si les sites de jeu en ligne ont passé un cap en devenant quasiment tous payants à 100 %, même si, pour la première fois, les internautes ont déboursé quelques euros pour suivre le championnat du monde, le chiffre d'affaires afférent aux échecs reste encore faible. Il suffit que je consulte les recettes publicitaires de ce blog pour m'en convaincre... La grande question est donc la suivante : les échecs sont-ils capables de sortir de leur marché de niche où ils végètent à l'écart des grands médias ? Si la réponse est oui, la discipline aura de réelles chances d'exprimer tout son potentiel. Si la réponse est non, les échecs vivoteront dans leur ghetto.
18 commentaires:
J'ai un peu le même sentiment. J'ai également ressenti cette dégradation de l'image des échecs dans les médias, depuis plusieurs années. Je me rappelle encore avoir suivi à la TV, 16 ans auparavant, le récapitulatif journalier d'un match Kasparov-Karpov, partie commentée à l'appuie. Cela me parrait impensable de nos jours. Au mieux un petit sujet sur le JT, ou alors il faut s'orienter vers la chaine spécialisée DiagonaleTV.
Je ne sais pas si ça a un rapport, mais peut être y a t'il un lien avec les défaites successives des humains face aux machines. Ces évennements ont, je pense, dégradé un peu l'image des échecs (qui ne sont donc plus un jeu où l'Intellgence et l'Intuition l'emportent face à la puissance brutte de la Machine, etc). De même, les problèmes internes au monde des échecs de ces 15 dernières années n'ont pas dû jouer en leur faveur. De même, l'interruption du cycle le Championnat du monde a dû causer un préjudice à l'image, aucun "vrai" Champion n'étant identifié.
Et si les échecs n'étaient pas un sport de masse (media) ? Faut-il en arriver à des retransmissions de parties sur écran géant au Parc des Princes avec des hordes de hooligans du type Bacrot's bad boys contre le virage Lautier (euh, lui c'est la tangente...). Faux débat ? Ou sans fric point de loisirs ? Moi, je pousse le bois en club et je fais un tournoi l'été où nous sommes tout de même plus de 300 ! (Avoine, hyper cool). Amitiés.
La vidéo est en ligne vous pouvez la retrouver en téléchargement sur le site imineo :
http://www.imineo.com/echecs/actualites-internationales/debat-mediatisation-echecs-france-video-2443.htm
plutot d accord avec l'opinion de ig...
Sans s'identifier clairement auprès du grand public, l'image désaventageuse nous collant à la peau ne disparaîtra pas...
Qui peut dire qu'il n'a jamais vu une sourire malicieux sur le visage de son interlocuteur après s'être affirmer comme est un fana d'échecs?
Je rejoins IG dans le fait que sans porte drapeaux des echecs, sans avoir des "peoples" faisant leur "coming-out" échiquéen, le grand public aura toujours une image de hobit pour boutonneux, matheux, lunetteux, associables, compléxés, autistes, etc....
et tant que le grand public ne changera son opinion, les médias ne s'intéresseront pas à notre passion.
Bonsoir à tous !
Je suis entièrement d'accord avec monsieur jg quand il parle de lieux où l'on pourrait jouer aux échecs. J'adorerais qu'il existe des bistrots, cafés, ou bars où les gens pourraient jouer librement aux échecs, rencontrer d'autres joueurs ou se balader au milieu des échiquiers en observant les positions. Je pense que beaucoup de curieux passeraient jeter un coup d'oeil, et qui sait, cela peut leur donner envie de s'y mettre. Ainsi le jeu deviendrait beaucoup plus populaire. D'autre part, je pense qu'un des problemes est que beaucoup des nons initiés pensent ne pas etre assez fort, "intelligents" pour jouer aux échecs. Or chacun de nous sait que c'est faux, il faudrait faire passer un message comme quoi c'est vraiment un jeu accessible à tous.
Pour terminer, je voudrais vous faire part des mes observations : lorsque je joue avec des copains à la cafet' de mon université, toutes les personnes qui y rentrent passent nous voir jouer. Cela prouve qu'il y a malgré tout une véritable fascination pour le jeu d'échecs. Malheureusement, peu s'y risquent. En effet quand on leur demande si ils veulent faire une partie, ils refusent de suite en disant : "non, non, merci, je suis nul, je me ferais exploser". Je pense que tout le probleme est là...
Et qu'est-ce que tu penses d'un média qui parle d'échecs et qui publie une lettre de soutien à un candidat à la présidentielle... ;-(
serge v
Bravo pour ce blog qui a un grand suces.voici mon blog sur les echecs:
echecsjonathan.blogmee.com
C'est une bonne initiative de vouloir aborder la problématique des médias face aux échecs.
Cependant, je trouve réellement contre productif d'évoluer sur un média payant comme diagonale tv, surtout pour parler d'un problème aussi générique.
Sérieusement qui va acheter une vidéo avec un tel contenu ?
Je ne suis même pas sur que les vidéos plus ciblées par exemple sur le dernier championnat du monde aient eu un franc succès.
De gratuite qu'elle était à sa création, elle est passée payante sur une niche aussi étroite que les échecs. J'ai du mal à m'imaginer que cela soit viable à plus ou moins court terme.
Ne soyons pas pessimistes. Moi aussi je constate la frilosité de mes compagnons de club à dépenser quoi que soit sur le net.
Mais, heureusement, cela évolue, lentement. Il y a quelques années encore, je passais pour un extra-terrestre pour dépenser un abonnement à ICC. Et pourtant maintenant, je peux convaincre l'un ou l'autre que 50, 100euros, ..., pour les services énormes que l'on peut tirer du net, ne sont pas grand-chose si on les compare à d'autres choses (eg cigarettes, abonnement du fiston au club de sport, à canal, etc...).
La génération du net va bientôt disposer de revenus à dépenser...
Pas beaucoup de recettes publicitaires ??
pourtant je clique à chaque fois un peu partout sur les liens pour encourager ce blog !!
sport ? même si ça été reconnue "sport", je trouve normal que l'equipe n'en parle pas. Le quotidien prend la signification première du mot sport : aspect physique. Les échecs n'ont aucun aspect physique
Pour répondre au dernier commentaire, j'ai bien envie de dire qu'il suffit de jouer un tournoi sur neuf jours à raison de 5 à 6 heures par jour, pour se rendre compte que les échecs, c'est physique. Mais le débat est ailleurs : il est sur la définition du mot sport. Selon le dictionnaire Robert, le critère de performance physique en fait partie. Si l'on prend la racine du mot, qui fait référence à l'amusement, au jeu, ce n'est déjà plus le cas. Si l'on considère un certain nombre de disciplines dites sportives (que je ne dénigre absolument pas), comme le tir à l'arc ou à la carabine ou le curling, ou le golf, on s'aperçoit très vite que la notion de performance physique s'efface et qu'en termes de dépense énergétique, une partie d'échecs est largement plus consommatrice de calories. Si Le Monde a fini par accepter les échecs dans les pages Sports, si le quotidien sportif Marca en parle souvent, c'est aussi pour cette raison.
Pour ma part, je ne pense pas que le jeu d'echec souffre d'une image négative auprès du grand public. Bien au contraire. Le problème, si probleme il y a ,vient selon moi de la complexité du jeu lui-même qui plonge tout novice dans une série de règles ( mouvements et valeurs des pièces, mat, pat, prise en passant, promotion, roque, ) indigestes qui l'empeche au premier abord de prendre du plaisir à cette activité ludique. C'est un jeu qui demande au départ un certain renoncement à un plaisir immédiat. Et dans la société où l'on vit et surtout en cette période de fête, c'est plutot le règne du plaisir immédiat. Quoi qu'il en soit, si l'on fait l'effort d'investir du temps et des méninges pour assimiler ce jeu, il ne fait de doute que bcp y prendront un moment un réel plaisir. Est-ce que l'investissement aura voulu la peine? Chacun y répondra pour soi. N'y aurait-il d'ailleurs pas un certain prosélytisme dans l'ensemble de vos propos. Que les gens ou les médias ne s'interressent pas aux échecs, c'est encore leur droit. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi ce jeu mériterait plus d'audience que d'autres également méconnus. C'est un beau jeu , certes, mais n'en faisons pas une religion!
Tout d'abord merci Pierre Barhelemy pour cet excellent blog que je consulte quotidiennement avec grand plaisir depuis le jour de sa création.
En ce qui concerne le sujet du jour, je partage complètement le point de vue de JG et il me semble qu'effectivement la médiatisation des échecs peut passer - à l'instar du pocker - par les célébrités populaires du petit écran. A quand une émission télé avec des invités tels que Dany Boon, Johnny ou autes Arthur qui s'affronteraient dans un blitz endiablé en simultané face à un Lautier les yeux bandés ? C'est une caricature mais bon... les échecs n’ont certainement pas à rougir devant cette épidémie de jeux télévisés plus abêtissants les uns que les autres.
D'un autre côté, à en lire les différents articles d'Europe Echecs et de la FFE, Jean-claude Moingt semble désireux de promouvoir les échecs au niveau de l'éducation nationale. Peut-être pourrions-nous élaborer un projet de médiatisation et le lui soumettre tous ensemble ?
Par ailleurs, j'ai moi aussi le Daffe et souhaite mettre en place des programmes d'échecs dans les centres de réinsertion. Si d’autres personnes sont désireuses de monter un projet semblable ou tout simplement d’en discuter, j’en serais ravi.
Vous pouvez me contacter par mail : etarrin@amadeus.fr
Sport ou compétition ? Là est la question ! Les échecs sont indéniablement une compétition dont la férocité, les enjeux n'ont rien à envier à toutes les autres. Sport, oui si l'on admet que les courses de chevaux ou automobiles sont un sport... ce qui ne semble pas faire l'objet de la moindre discussion. Donc où est le problème ?
Définition wikipédia de "sport":
"Le sport regroupe un large éventail de diverses activitées humaines. Cet éventail est variable selon la définition qui est donnée au terme de "Sport". On peut cependant noter des axes forts : le sport est une activité humaine, qui doit pouvoir être pratiquée comme un loisir, qui est régie par des règles partagées par un grand nombre et qui doit permettre de mettre en compétition entre eux les pratiquants d'une même discipline. Une activité à caractère sportif mais pratiquée à titre de loisirs sans but de compétition, telle que la randonnée, pourra ne pas être admise par certains comme un sport ; de même, pour une activité peu physique et principalement cérébrale, telle que les Echecs."
Ite, missa est.
Concernant la publicité, je n'en vois absolument aucune puisque j'utilise le filtre "Adblock" de Firefox et lis votre blog à travers le fil RSS avec Thunderbird.
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