30 novembre 2006

Partie 3 : la muraille informatique

C'est un sentiment assez étrange que les commentateurs du match Kramnik-Deep Fritz ont ressenti hier, mercredi 29 novembre, en regardant la 3e confrontation entre le champion du monde et le logiciel. Avec les Blancs, Vladimir Kramnik avait commencé la partie sur un rythme soutenu, montrant qu'il entraînait son adversaire sur une variante de la catalane qui lui plaisait et qu'il avait préparée à la maison. On se disait que, cette fois-ci, le Russe avait peaufiné son coup et attirait la bête de silicium dans une position qu'elle évaluerait mal. Première subtilité au 13e coup des Blancs, qui laissaient leur pion "d" en prise (voir diagramme ci-contre). Les Noirs déclinèrent l'offre car après 13... cxd4 suit 14. Dc6 clouant le cavalier et attaquant la tour qui ne peut rester là sous peine de perdre une pièce (car si le cavalier blanc prend en d7, la dame reprend et est déviée de la défense de la tour a8). Après, par exemple, 14... Tc8, attaquant la dame, les Blancs jouent 15. Dxd5, menaçant rien moins que mat en f7 ! La suite la plus sûre pour les Noirs est 15... Cxe5 16. Dxe5+ Fe7 (16... De7 17. Dxd4 et les Noirs feraient mieux de ne pas tenter de récupérer leur pion perdu car si 17... Dxe2 18. Fg5 lie les tours et menace le mortel Te1) 17. Dxg7 et les Blancs, avec un pion de plus, sont nettement mieux. Fritz a éventé le piège sans souci et échangé les cavaliers, affligeant Kramnik de pions doublés et se créant une belle majorité de pions à l'aile-dame.
On se disait donc, à ce stade de la partie, que tout ceci était prévu. D'autant plus que le Russe jouait vite et d'autant plus que, sur mon petit ordinateur, ma "vieille" version de Fritz 8 me donnait tous les coups à l'avance... On attendait donc le moment où Kramnik tirerait la partie dans une voie où la myopie à long terme du logiciel et son incapacité à monter des plans lui seraient fatals. Mais rien n'est arrivé. Comme s'il était incapable de franchir la muraille informatique, le champion du monde n'a rien tenté et l'on a vu Deep Fritz gagner de l'espace. Sa majorité de pions à l'aile-dame commençait même à se faire préoccupante. A l'arrivée, la machine se créa un pion passé sur la colonne "a", comme on le voit sur le diagramme ci-contre, pris après le 37e coup du programme. Mais Kramnik avait la parade, une parade élégante que seul un humain peut sélectionner (Deep Fritz ne la classe pas, loin de là, à la première place) : donner la qualité par 38. Txf8+ afin que, après l'obligatoire Rxf8, le roi et le pion a3 non protégé soient sur la même diagonale, afin de jouer 39. Fb4+, supprimant au coup suivant le dangereux fantassin cheminant sur la bande.
Bien sûr, il n'était plus dès lors question, pour les Blancs, de jouer pour le gain. Après 39... Rf7 40. Fxa3 Ta2 41. Fc5 g6 42. h4 Rf6 43. Fe3 h5 44. Rg2, on arrive à la position finale de la partie (voir diagramme ci-contre). Il s'agit d'une classique position de forteresse. La chaîne de pions blancs est parfaitement défendue grâce au fou de cases noires et tient en respect les deux pions adverses. Même si leur roi parvient à s'infiltrer sur les cases blanches, les Noirs n'ont aucune chance de gagner. Les Blancs restent passifs et campés sur leur forteresse mais ne craignent rien. Point très amusant : si on laisse tourner le programme pendant très longtemps, il donne aux Noirs un avantage énorme, incapable qu'il est de comprendre l'essence de la position. Heureusement, hier, l'équipe de Deep Fritz a accepté la proposition de nulle de Kramnik, sans tenir compte de l'évaluation livrée par sa créature, nous épargnant le spectacle ridicule d'une finale insipide. Pour le goût de l'expérience, j'ai joué moi-même la finale contre Fritz. Pendant très longtemps, il ne saisit pas ce qui se déroule, jusqu'à ce qu'on arrive à quelques coups de la nulle, en application de la règle des 50 coups. A ce moment-là, son évaluation tombe subitement à 0,00... Tout cela n'empêche qu'il mène par 2 points à 1. Prochaine partie, demain. Le logiciel aura les Blancs.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Etonnant l'évaluation des logiciels. Ce qui prouve qu'il ne faut s'y fier à 100% surtout dans la partie positionnelle et finale théorique.L'humain reste à ce stade sans égal et je ne suis pas sur que l'ordi va détroner l'homme. Un argument que les joueurs par correspondance peuvent utiliser pour refuter la pseudo triche en utlisant un programme dans une partie

superstar a dit…

j'm bien ls echec

Anonyme a dit…

L'évaluation de Fritz est plus centrée sur le matériel que sur le positionnel, à l'inverse d'un programme comme Shredder par exemple.

Encore une fois je me demande pourquoi Kramnik pezsiste dans la Catalane, qui lui fait perdre plus de demi points qu'elle ne lui en fait gagner. On attendait beaucoup mieux de sa préparation avec les Blancs.

Dans cette partie, et dès le 25ème coup, les Noirs avaient une chaîne de 4 pions liés à l'aile-Dame. On n'a pas vu le propos positionnel suivi par Kramnik. Il développe surtout un jeu combinatoire assez classique qui ne pose aucune difficulté à Deep Fritz.

Sur les 3 parties, l'erreur de la seconde mise à part, les 2 protagonistes ne se sont pas vraiment mis en danger.

On a l'impression que Kramnik est venu chercher un solide 3-3, et Deep Fritz prend peu d'initiatives.

Rappelons que Deep Fritz calcule en moyenne 9 millions de positions/seconde, contre 200 millions pour Deep Blue ou Hydra. Il est donc 10 fois moins armé en puissance de calcul (environ), et est bridé par les règles de jeu obtenues par Kramnik. Il faudra s'en souvenir l'heure du bilan.

Anonyme a dit…

Votre commentaire "La Muraille informatique" passe sous silence l'analyse claire et respectee de Seirawan qui considere que non seulement Kramnick avait un avantage gagnant au debut de la finale mais aussi qu'il la joua si mal au point de perdre cet avantage. Vous ne partagez pas son analyse?
jbeaum