Du NAO Chess Club au Paris Chess Club
A la demande d'un de mes lecteurs, je reviens sur la "mort" du prestigieux NAO Chess Club et sa résurrection en Paris Chess Club. Avant d'entrer dans les détails de cette métamorphose qui a agité le milieu échiquéen parisien au cours des derniers mois, une petite chronologie s'impose. En prenant en 2001 le contrôle de Caissa, un club parisien prestigieux mais moribond en raison du manque d'argent, la riche Syrienne Nahed Ojjeh (fille du général Tlass, alors ministre syrien de la défense, et veuve du milliardaire saoudien Akram Ojjeh, décédé en octobre 1991) avait de grandes ambitions, comme elle me l'avait confié en janvier 2002 : "Mon objectif, disait-elle alors, est de faire de la France, mon pays d'adoption, une grande nation des échecs, égale aux pays de l'Est." Pour ce faire, elle rebaptise Caissa en NAO (pour Nahed Ojjeh) Chess Club et se paye une véritable "dream team" des échecs : le champion du monde russe Vladimir Kramnik, ses compatriotes Peter Svidler et Alexandre Grichtchouk, les deux meilleurs joueurs français Joël Lautier et Etienne Bacrot, ainsi que les grands maîtres Laurent Fressinet, Igor Nataf et Arnaud Hauchard. Chez les dames, Almira Skripchenko et Marie Sebag viennent alors compléter l'effectif. Quelques changements interviendront au cours des années mais l'esprit demeurera le même : une équipe de top niveau pour écumer les compétitions. Et cela va marcher. En cinq ans, le NAO Chess Club se constitue un fantastique palmarès : quatre titres de champion de France, quatre Coupes de France et, surtout, deux championnats d'Europe des clubs, en 2003 et 2004.
Mais, au printemps 2006, Nahed Ojjeh annonce qu'elle cesse de financer le club, de manière assez abrupte et sans que l'on sache vraiment pourquoi. La grosse cylindrée qu'est le NAO, qui vivait avec beaucoup de moyens et dans des locaux luxueux, n'a soudain plus d'essence pour continuer la route. Cependant, comme me l'a expliqué le nouveau président du club, Jean-Marc Allouet, "il y avait des membres qui n'avaient pas envie que cela s'arrête : on ne pouvait pas laisser un club avec un tel palmarès, avec des enfants qui progressaient, avec de vraies personnalités, avec des gens qui s'entendaient bien ensemble, capoter du jour au lendemain. Mais une fois qu'on a dit cela, il faut le sauver, le club."
Jean-Marc Allouet, 38 ans, n'est pas un champion d'échecs. Capitaine de l'équipe de Nationale 6, il est classé 1680 Elo. Il ne connaît pas non plus spécialement le milieu. Mais, travaillant pour un cabinet de commissariat aux comptes, il est habitué à gérer des situations de crise et, de son propre aveu, il n'aurait pas aimé "le gâchis" que l'arrêt du club aurait constitué. Avec Jordi Lopez, qui dirigeait de fait le NAO, M. Allouet tente de mettre sur pied le sauvetage et commence les discussions avec Manuel Aeschlimann, le député-maire d'Asnières-sur-Seine, qui se montre intéressé. Après quelques négociations, un arrangement est trouvé sur un budget et tout semble sauvé. "On s'est dit qu'on pouvait partir tranquillement en vacances, qu'on avait une solution de continuité, se souvient Jean-Marc Allouet. Et on a fait une erreur. On aurait dû appliquer une règle d'or des échecs : quand on a un bon coup, on en cherche un meilleur. On n'avait pas anticipé la pointe finale : en août, Asnières dit "non", de manière à peu près aussi lapidaire que cela." Les "sauveurs" ne l'ont pas prévu et ne disposent pas de solution de rechange. Or, la rentrée approche, le début des compétitions aussi, sans oublier la fin de la saison des transferts...
"Après cette deuxième claque, comme le résume Jean-Marc Allouet, on se retrouvait sans rien mais on s'est rappelé une autre règle des échecs : on n'a jamais gagné une partie en abandonnant." L'idée vient alors de se tourner vers des clubs multi-sports en se disant qu'ils ont aussi pour cible la formation des enfants. Après avoir approché le Team Lagardère, M. Allouet contacte le Stade français, sans y connaître quiconque, en passant par le standard... "En moins de deux semaines, explique-t-il, ils ont réussi à s'arranger pour nous faire un peu de place au stade Géo André, alors qu'ils ont déjà une vingtaine d'activités. Les cours pouvaient se donner là-bas, les compétitions pouvaient s'y jouer. Aujourd'hui, nous sommes dans une saison de transition et nous allons voir si l'intégration du club au sein du Stade français est ou pas la meilleure solution pour nous." Les trois salariés du NAO (le webmestre Manuel Wagneur, le professeur et grand maître Nikola Spiridonov et Jordi Lopez) avaient été remerciés lors du départ de Nahed Ojjeh. Le premier a retrouvé du travail et est prêt à filer un coup de main, le deuxième donne toujours des cours, comme vacataire, à ce qui est devenu le Paris Chess Club, et le troisième pourrait être réembauché comme directeur technique, le club étant, selon Jean-Marc Allouet, "en train de signer avec un partenaire pour aboutir à l'équilibre financier". Heureusement, 90 % des enfants sont restés, soit 40 à 50 licenciés sur la soixantaine que compte le Paris Chess Club.
Quant à l'équipe première, elle sera évidemment moins forte. Exit les grands maîtres russes. Exit Joël Lautier et Etienne Bacrot. Et fin des grandes ambitions, du moins pour le moment. Le jeune et prometteur Maxime Vachier-Lagrave, courtisé par de nombreux clubs, est resté, ainsi qu'Igor Nataf, Arnaud Hauchard et, bien sûr, Spiridonov et Lopez. D'autres bons joueurs, comme Ismael Karim (2288 points Elo), vont pouvoir "monter" en équipe première et se frotter à l'élite car le Paris Chess Club, qui est parvenu à garder l'ensemble de ses équipes, jouera bien le Top 16, même si ses chances de le remporter à nouveau sont, bien entendu, beaucoup plus faibles que lors des saisons précédentes. Peut-être pourra-t-il se payer un mercenaire à l'occasion mais, comme le dit avec humour Jean-Marc Allouet, "l'année dernière, on avait Kramnik. Ses tarifs ont dû augmenter depuis et je ne pense pas qu'on l'aura cette année"...
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