03 janvier 2007

Un roman sur le fameux automate joueur d'échecs

En 2001, j'avais écrit dans Le Monde un article consacré à l'automate joueur d'échecs (photo ci-contre) inventé par Wolfgang von Kempelen, le fameux Turc qui, à partir de 1770, était devenu l'attraction des cours d'Europe, à commencer par celle de Marie-Thérèse, impératrice d'Autriche et de Hongrie, dont Kempelen était l'un des conseillers. Alors que va paraître, dans les tout prochains jours, la traduction française du roman de l'Allemand Robert Löhr consacré au Turc et intitulé Le Secret de l'automate (Robert Laffont, 400 p., 21 €), je vous propose en préambule de relire cet article :

ANCÊTRES des robots, les automates font fureur dans les salons du XVIIIe siècle. En France, les oeuvres de Jacques de Vaucanson - qui inventera aussi le premier métier à tisser automatique - attirent et divertissent les foules : son flûtiste et son joueur de tambourin exécutent plusieurs airs différents tandis que son canard bat des ailes, mange et... défèque, semblant reproduire le cycle de la digestion. C'est dans cette joyeuse fascination pour ces répliques mécaniques du vivant que « paraît en 1770 à Paris, dans la Correspondance littéraire de Grimm, une annonce se faisant l'écho d'un certain Louis Dutens, qui relate son expérience d'une partie d'échecs jouée contre un automate à Presbourg », raconte Maxcellend Coulon, auteur d'une thèse d'histoire sur le jeu d'échecs et la société en France au XVIIIe siècle.
Inventé par le baron Wolfgang von Kempelen, conseiller aulique de Marie-Thérèse d'Autriche et directeur général des salines de Hongrie, cet androïde grandeur nature représente un Turc à turban et caftan, assis sur une chaise fixée à une commode de 1,15 mètre de long sur 80 cm de profondeur et 80 cm de haut, meuble sur lequel est disposé l'échiquier. Cet étrange Oriental est accoudé du bras droit et tient dans la main gauche une longue pipe qu'il quitte pour jouer. Avant chaque séance, Kempelen fait inspecter l'automate, ouvre successivement les portes de la commode et passe une bougie à l'intérieur, où s'entassent les rouages, ce afin de montrer que personne ne s'y dissimule. De la même façon, il soulève impudiquement le caftan du Turc, qui ne cache que la mécanique destinée à mouvoir le bras. « Le Turc joue toujours avec les Blancs, précise Maxcellend Coulon. Pendant la partie, son visage bouge. Lorsqu'il donne échec au roi, il incline trois fois la tête. Lorsqu'il veut signaler échec à la dame, ce qui se faisait à l'époque, il incline deux fois la tête. Lorsque son adversaire effectue un coup interdit, il hoche la tête, remet la pièce à sa place initiale et, pour sanctionner l'erreur, rejoue immédiatement ! De temps en temps, Kempelen remonte le mécanisme comme on remonte une pendule. Quand la partie est achevée, l'automate donne quelques prestations supplémentaires comme le problème du cavalier, problème mathématique en partie résolu par le mathématicien suisse Euler, qui consiste à faire parcourir tout l'échiquier à un cavalier sans qu'il passe deux fois par la même case. » Cette « prouesse », difficile à effectuer par un humain sans un certain bagage technique, rappelle les exploits réalisés par les autres automates et conforte sans doute l'idée que seule une mécanique actionne le joueur au turban. Celui-ci communique aussi avec les spectateurs grâce à une petite boîte contenant les lettres de l'alphabet.
Il faut attendre 1783 pour enfin voir le Turc à Paris. Il y rencontre notamment Bernard, un des meilleurs joueurs du célèbre Café de la Régence, disciple de Philidor et auteur d'un traité des ouvertures. L'homme bat assez facilement la machine grâce à la défense sicilienne, inusitée à l'époque. Cette défaite ne nuit pas au succès du Turc, et Versailles demande à Kempelen de lui montrer sa création. Cette dernière impressionne d'autant plus les spectateurs qu'à la différence des autres automates, qui reproduisent toujours un numéro identique, il joue à chaque fois une partie différente. « Ce qui intriguait les gens, ajoute Maxcellend Coulon, c'est qu'ils se rendaient compte qu'une intelligence se cachait derrière. Il a même suscité des réactions de crainte, car on rapporte qu'en le voyant une femme s'est signée, croyant voir le diable, et s'est recroquevillée dans une encoignure. » L'Académie des sciences, quant à elle, se déplacera pour examiner le troublant personnage, mais sans parvenir à percer son secret.
Car secret, évidemment, il y avait. L'existence d'un joueur de petite taille (enfant, nain ou même... singe savant !) avait été plusieurs fois évoquée, mais il fallut attendre plusieurs décennies et l'ingéniosité d'Edgar Poe, qui le vit faire plusieurs démonstrations aux Etats-Unis, pour que la supercherie soit enfin révélée. Le cerveau du Turc n'était pas artificiel mais bien humain. Un joueur était enfermé dans la commode avant le début de la partie. Un système de leviers lui permettait de déplacer le bras de la machine, préfigurant les bras articulés manipulés à distance. Le Turc termina sa carrière en 1854, victime d'un incendie au Musée chinois de Philadelphie... ville où, près d'un siècle et demi plus tard, devait se disputer le premier match entre Garry Kasparov et Deep Blue, le superordinateur d'IBM.

Le livre de Robert Löhr n'est pas un essai, mais un roman mettant en scène la relation tumultueuse entre Kempelen et l'âme de sa machine, un nain joueur d'échecs. En réalité, on ignore toujours qui fut le premier manipulateur du Turc et Löhr profite des trous figurant dans la "biographie" de la pseudo-machine pour tisser l'intrigue de son roman, lequel, s'il ne ruisselle pas de qualités littéraires, est assez plaisant à lire. Je regrette cependant que les leviers de l'histoire ne soient pas aussi subtils que ceux qui actionnaient le Turc. Ceux qui voudront tout connaître de cet automate mythique et de ses nombreuses vies se référeront à un ouvrage en anglais, The Turk, Chess Automaton, de Gerald Levitt, paru en 2000 chez l'éditeur McFarland.
Plusieurs internautes m'ont demandé de commenter l'abondante littérature échiquéenne qui remplit les étagères des librairies spécialisées, et de leur donner des conseils. Cela m'est assez difficile : d'une part, je ne reçois pas ces ouvrages et ne suis pas tenu au courant de leur parution, d'autre part mon niveau échiquéen n'est pas toujours suffisamment élevé pour juger de la qualité de tel ou tel livre théorique. Il me sera néanmoins possible d'en rendre compte à l'occasion, mais pas de manière systématique. Je préfère vous orienter vers les commentaires, en français, de la librairie Variantes.

*
Echecs Info a passé ce matin le cap des 50.000 pages vues, depuis son lancement, le 23 octobre 2006. Merci de votre fidélité !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

50 000 pages c'est beaucoup et c'est peu...selon l’analyse que l’on en fait…
Je suis venu ce matin sur votre blog non pas pour lire l'article du jour au sujet « réchauffé sur d'autres sites »
mais plutôt pour y suivre la teneur des nouveaux commentaires concernant vos problèmes de « rentabilité déontologique »…
J’ai aussi une question : que pensez-vous de la qualité des analyses et problèmes proposés par M. LAUTIER dans LE MONDE ?
A demain.

Anonyme a dit…

Franchement quelle est l'utilité de tous ses commentaires stupides i.e. "sujet "réchauffé sur d'autres sites""?
Personnelement je defends bec et ongles les posts de M. Barthélémy que je trouve toujours, oui toujours dignes d'intérêts!
Alors ceux qui ne sont pas intéressés qu'ils aillent créer leurs blogs, qu'ils aillent trouver des moyens de financement adéquats (vu que c'est un sujet récurrent pour les raleurs) et qu'ils n'xxxxx plus les lecteurs intéressés par l'angle de vue de Pierre B. sur les échecs!
Les critiques ont souvent du bon mais là ca devient franchement futile, lourd et surtout stérile!
On est sur un site d'information sur les échecs et pas dans une arène à polémique!

Anonyme a dit…

Monsieur Barthélémy,

Je sors un instant de l'anonymat de vos nombreux lecteurs (car moi, je trouve que 50000 pages, c'est beaucoup!) pour témoigner du très grand plaisir que j'ai à vous lire quotidiennement ou presque.
Je vous souhaite d'avoir la force et la pugnacité, en cette année 2007, de continuer à faire fi des commentaires doucereux de ceux qui ne font rien, pour continuer à nous délivrer vos articles qui vont - et c'est heureux - des points d'actualités les plus récents à des éléments historiques que de nouveaux venus dans cette petite enclave culturelle des échecs ignorent peut-être.

En ce qui concerne les aspects financiers que vous avez récemment soulevés, je voudrais tout d'abord souligner qu'il faut avoir la panse bien pleine et un fort petit "souci de l'autre" pour tenir sans vergogne que vous devriez vivre de "l'air du temps"! Ainsi, certains estiment normal de pouvoir se nourrir d'un clic, chaque soir en rentrant d'une activité professionnelle qu'ils n'exerçent pas gratuitement il me semble, du labeur que vous devriez produire au pain sec et à l'eau pour leur seul bon plaisir!!
Je vous donne donc pleinement raison de "dire", d'autant plus qu'une sorte de pudeur entoure traditionnellement ces sujets.
D'un point de vue purement "sociologique" cette fois, je trouve de plus intéressant, à titre personnel au moins, étant fort éloigné des problèmatiques qui touchent les métiers de presse en général, de pouvoir en avoir une connaissance de "première main".

Je n'ai aucune solution à proposer d'emblée à une question aussi difficile.
Juste cette petite idée: pourquoi ne tenteriez-vous pas de proposer une souscription financière destinée à soutenir ce blog fondée sur le volontariat des lecteurs qui le voudraient bien?
Ce pourrait être un intermédiaire temporaire qui:
1) vous garde des écueils du "tout gratuit" et du "tout payant"
2) pourrait vous donner une idée plus nette de "l'état des lieux"
3) permettrait à ceux qui vous soutiennent d'avoir la joie de pouvoir le faire plus efficacement!

C'est peut-être se faire beaucoup d'illusions, même en ce début d'année, mais pourquoi ne feriez-vous pas le pari de "croire en l'homme"?

Bien respectueusement;
Solal

Anonyme a dit…

J'ai lu ce livre, ce n'est pas un GRAND livre mais cela se lit assez bien. Je suis d'accord avec le commentaire sur le fait qu'il n'est pas aussi subtil qu'à pu l'être l'automate. C'est dommage, il y avait matière à faire mieux.

JM Allouët

PS : Bon courage pour la suite du site