Wijk-aan-Zee : des nulles et puis du jeu
La ronde 1 du tournoi A de Wijk-aan-Zee aurait pu illustrer à merveille le propos de ma dernière note, avec 6 nulles pas très captivantes sur 7 parties. Seul Teimour Radjabov, avec les Noirs, parvenait à marquer un point entier contre Loek Van Wely. En revanche, dès le lendemain, l'action était de mise après ce tour de chauffe : cette fois-ci, les statistiques s'inversaient avec 6 parties décisives et une seule nulle (la partie Radjabov-Kariakine), ce qui, disons-le franchement, est plutôt rare à ce niveau. Comme quoi, rien n'est complètement perdu pour ceux qui aiment le spectacle aux échecs. Il y avait du feu sur l'échiquier, à commencer sur celui du numéro un mondial, le Bulgare Vesseline Topalov, qui, avec les pièces blanches, exécutait Van Wely. S'il ne veut pas jouer au client, c'est-à-dire à celui sur lequel tous les cadors s'acharnent, le Néerlandais a intérêt à se reprendre rapidement.
Dans cette partie Topalov-Van Wely, les spectateurs ont eu droit aux grands classiques de la variante Najdorf de la défense sicilienne : roques inversés, course à l'attaque du roi adverse, avec les pions "g" et "h" pour les Blancs, et les pions "a" et "b" pour les Noirs. Mais, dans cette course, Van Wely allait manquer un peu de précision et prendre du retard, ce que n'a pas manqué d'exploiter son adversaire. Ainsi, dans la position du diagramme ci-contre, Topalov ne s'embarrasse pas de préliminaires et fonce dans le tas, en jouant 20. g6. En fait, les Blancs ont raison d'y aller franco étant donné que les Noirs ne peuvent prendre le pion car personne n'est là pour défendre leur roque. Sur 20... hxg6 21. hxg6 Cf8 (attaque g6 tout en dégageant un peu la 7e rangée ; il ne faut bien sûr pas jouer 21... fxg6 à cause de 22. Fe6+ Rf8 23. Th8 mat !) 22. gxf7+ Rxf7 et le roi noir commence à être dans de méchants courants d'air car les Blancs peuvent même se permettre 23. Fe6+ car après 23... Cxe6 24. dxe6+ Rxe6 25. Dd5+ 26. Cd3 (le pion e5, cloué, approche du point d'ébullition) Ff6 27. Cxe5+ Fxe5 28. Dxe5 et les Noirs sont horriblement mal : le pion g7 est attaqué mais ne peut bouger à cause de Th7+ qui ramasse la dame ; le pion e5 ne peut bouger lui non plus ; le cavalier n'a pas de case où aller ; et après un coup comme 28... Tg8 29. Ff4 vient parachever la domination (et le gain) des Blancs. Après 20. g6, fxg6 ne vaut pas mieux car suit 21. Fe6+ Rf8 (21... Rh8 est un suicide car après 22. hxg6 h6 23. Fxh6 et les Noirs se font mater vite fait bien fait) 22. hxg6 h6 23. Fxh6 ! Ff6 (protège g7) 24. Fg5 (pour éliminer la seule pièce en jeu des Noirs) Cac5 (revient dans la partie afin de supprimer le gênant fou e6) 25. Cd3 (les Blancs peuvent se permettre ce coup de développement car rien ne les menace) Cxe6 26. dxe6 (remet de la tension) Fxg5 (si le cavalier attaqué se sauve, les carottes des Noirs sont cuites : 27. Fxf6 gxf6 28. Th8+ Re7 [Rg7 29. Dh6 mat] 29. Rh7+ gagne la dame) 27. Dxg5 Cf6 28. Cxe5 ! Les Noirs perdent un pion car le cavalier est tabou : sur 28... dxe5 29. Td7 ! et, pour empêcher le mat imminent (par 30. Th8+ Cg8 et 31. De7 mat), les Noirs doivent prendre la tour avec leur dame (pas avec le cavalier, car déboule l'immédiat Th8 mat).
Je n'ai donné que les lignes principales mais cela prouve assez bien que le pion g6 est imprenable. Van Wely a donc joué 20... Ff6 qui n'est pas spécialement convaincant. Après 21. gxf7+ Rxf7 22. Fe6+ Rf8 23. b3 Cdc5 24. Thg1 De7 25. Ff5, on arrive à la position du diagramme ci-contre. Ici, pour protéger le pion h7 attaqué, Van Wely a mis son roi en g8, ce qui est imprécis comme Topalov va le démontrer illico presto. Le plus évident h6, même s'il affaiblit la case g6, était moins risqué. Le Bulgare enchaîna donc par 26. Fxc5 Cxc5 27. Dh6 (exploite le clouage du pion g7 et renouvelle l'attaque sur h7) Rf8 28. Dxh7. A partir de là, la situation des Noirs va se déliter très rapidement.
D'autant plus rapidement que, dans la situation du diagramme ci-contre, le Néerlandais va craquer. Même si 32... Da7 ne maintenait guère d'espoir, il valait théoriquement mieux que ce que joua Van Wely : 32... exd3 (avec sans doute une arrière-pensée d'arnaque) 33. Fxf7 Txa2 34. Dg8+ (et pas 34. Rxa2 ?? Ta8+ 35. Rb1 Ta1 mat : on comprend l'intérêt d'avoir un pion en d3, qui ferme la souricière) Re7 35. Rxa2 (et non pas le catastrophique Dxb8 à cause du mat en a1). Ici, les Noirs abandonnèrent car même s'ils allaient récupérer la dame, ils seraient restés avec une tour de moins.
Sur les autres échiquiers, cela flamba aussi. Vishy Anand, avec les Noirs, mangea tous les pions soi-disant empoisonnés que lui offrit Alexandre Motylev et s'en trouva très bien. Victoire en 31 coups pour l'Indien. Face à Rouslan Ponomariov qui fit preuve d'une certaine désinvolture, Levon Aronian goba aussi trois pions et le point entier. Peter Svidler ne se démonta pas devant la relativement peu usitée défense scandinave de Sergueï Tiviakov, lequel, loin de jouer ses meilleurs échecs, se fit consciencieusement "masser" par le Russe avant d'abandonner au 65e coup. Avec les Blancs, le petit prodige norvégien Magnus Carlsen connut de bien difficiles moments face au Tchèque David Navara. Celui-ci commit une bourde monumentale... que Carlsen ne vit pas. Dans la position du diagramme ci-contre, les Blancs auraient dû jouer le simplissime 32. c6 ! Après 32... Dxb5 33. axb5 bxc6 34. bxc6 et la tour noire ne peut, même si elle se sacrifie, empêcher l'apparition d'une nouvelle dame sur l'échiquier. Le Norvégien ne vit pas c6 (comme quoi, se tromper arrive même au Mozart des échecs) et finit même par perdre la partie.
Enfin, on attendait beaucoup du retour de Vladimir Kramnik pour sa première apparition depuis sa défaite contre Deep Fritz (et depuis son tout récent mariage, fin décembre). Après une nulle avec les Noirs contre Kariakine, le Russe était opposé, hier, à Alexeï Shirov. Partie tranquille avec un petit avantage au champion du monde, qui augmente doucement au cours de la partie. Par ailleurs, Shirov a perdu beaucoup plus d'une heure dans l'ouverture... Tout cela ne concourt pas à la sérénité et l'Espagnol d'adoption sort la bourde du jour et abandonne sur le champ, n'attendant pas de voir si Kramnik va imiter Carlsen dans l'aveuglement. Dans la position du diagramme, pour l'emporter, que doit jouer le champion du monde ? La réponse est aisée, je vous laisse la trouver.
Après deux rondes, sept grands maîtres sont à égalité avec 1,5 point : Topalov, Navara, Kramnik, Anand, Aronian, Svidler et Radjabov. Kariakine a marqué 1 point tandis que Shirov, Tiviakov, Ponomariov, Carlsen et Motylev suivent avec 0,5 point. Van Wely ferme la marche avec une triste bulle.
4 commentaires:
vous suggérez 25...h6 mais est-ce qu'on a pas alors le sacrifice classique 26 F*h6,g*h6 28 D*h6+,Fg7, 29 Dh7 avec la menace mortelle h6 ?
J'ai beaucoup aimé l'analyse de la partie Topalov - Van Wely. La fin de partie est pleine de tension dramatique. Des échecs comme on les aime et qui démontrent que Topalov fait toujours mieux de s'exprimer sur l'échiquier que de laisser parler son manager...
Le hic, c'est qu'on n'est pas obligé de reprendre en h6... A la place, on peut jouer axb3. Si les Blancs reprennent avec le pion a, les Noirs ont une contre attaque sur la colonne a (après Da7 par exemple), ce qui rééquilibre les chances. Si les Blancs reprennent avec le pion c, cela ouvre la diagonale b1-h7 sur le roi blanc : après 27. cxb3 gxh6 28. Dxh6 Fg7. Et maintenant, sur 29. Dh7 Df6, 30. h6 ne marche pas à cause de Dxh6 et 30. Tg6 ne marche pas à cause de Dxf5+ ! En fait, cela m'a l'air à peu près égal.
Merci de bien vouloir écrire quelques lignes sur notre seul représentant français, Vachier-Lagrave Maxime, lors des prochaines notes.
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