Est-ce le contrecoup de sa défaite au championnat du monde ? Le numéro un mondial au classement par points Vesseline Topalov est en mauvaise posture au tournoi néerlandais de Hoogeveen. C'est un double ronde à 4 joueurs qui rassemble, outre le Bulgare, la meilleure joueuse du monde Judit Polgar (16e au classement FIDE, photo ci-contre), le numéro un néerlandais Ivan Sokolov (39e) et une des étoiles montantes des échecs, l'Azerbaïdjanais Shakhriyar Mamedyarov (12e). Et, tout comme il était très mal parti à Elista contre Vladimir Kramnik, Topalov vient de perdre coup sur coup ses deux premières parties, avec les Noirs.
Cela a commencé, dimanche 22 octobre, par une défaite contre Mamedyarov. Topalov a voulu reprendre le système qui lui avait rapporté un point dans sa 8e partie contre Kramnik mais c'était sans doute une erreur stratégique car, bien évidemment, tous les grands maîtres qui se respectent à la surface de la Terre ont disséqué, décortiqué cette partie. De plus, le favori bulgare n'a pas eu son dynamisme habituel, laissant son adversaire coloniser la colonne "c". Quant au roi noir, il se retrouvait un peu esseulé derrière un roque-gruyère. Il n'en a pas fallu plus à Mamedyarov pour lancer une attaque. Après le 27e coup des Noirs (voir diagramme ci-contre), l'Azerbaïdjanais jouait l'étonnant sacrifice Fg5 ! Et Topalov l'acceptait par 28... hxg5. Suivait évidemment 29. Dh5+ Rg8 30. Df7+ Rh7 et l'on pouvait se dire que la nulle par échec perpétuel allait suivre. Après 31. Dh5+ Rg8 32. Df7+ Rh7, Mamedyarov tentait sa chance par 33. hxg5. A ce moment, Topalov aurait pu essayer de rendre un peu de matériel pour affaiblir l'attaque blanche, par exemple par 33... Fe8 34. Dxe6 (forcé) Dd7 proposant l'échange des dames. En cas de refus des Blancs, par exemple par 35. Db3 ou Dc4, les Noirs lâchent la qualité en prenant l'encombrant cavalier d6 avec leur tour : 35... Txd6 36. exd6 Dxd6 et on peut se dire que le matériel est égal. Mais la nature de Topalov ne tend pas aux aplanissements. Au lieu de 33... Fe8, il a joué Cg6, rendant la pièce tout en se lançant dans un hypothétique contre.
C'était oublier que le roi noir était bien moins à l'abri que son homologue blanc. Même après l'échange des dames, Mamedyarov n'eut aucun mal à conserver l'initiative. Après le 45e coup des Noirs (voir diagramme ci-contre), il planta une combinette pour simplifier la position, que je vous laisse découvrir. Les Blancs jouent 46. Cf7 ! Txe6 (pour ainsi dire obligatoire, la menace étant Cg5+ suivi de Te8 mat) et 47. Cg5+ ramasse la tour au coup suivant. Topalov a abandonné avant de voir son adversaire, doté d'un pion de plus, passé qui plus est, lui montrer l'étendue de sa technique. Il faut noter la totale inutilité du cavalier h5, qui n'a aucune case sur laquelle sauter. Pendant que Topalov se faisait étriller, Judit Polgar se débarrassait d'Ivan Sokolov.
Lundi 23 octobre, la joueuse hongroise, avec les Blancs, affrontait le numéro un mondial, dans une partie très animée. Dans cet affrontement de deux attaquants, le Bulgare allait se montrer une nouvelle fois peu inspiré et peu précis. Son 19e coup, Cc5, aurait pu signifier la fin de la partie, si toutefois Polgar avait trouvé sa réfutation. Saurez-vous faire mieux qu'elle en examinant le diagramme ci-contre ? Il faut se baser sur la faiblesse du pion f7 et la non-protection de la tour h7 pour jouer Cf5, menaçant le pion d6. Les Noirs sont pour ainsi dire obligés d'accepter le sacrifice parce qu'après le coup de défense 20... Tc6, suit 21. Chg7 + ! Fxg7 22. Cxg7+ Txg7 23 Fxe5 Th7 24. Dg3 et l'attaque blanche est très difficile à stopper. Par conséquent, si l'on revient au diagramme, après Cf5, les Noirs prennent le cavalier. Suit 21. Fxe5 Fxe5 et Dxf5 ! Et où va la tour h7 qui "tient" le pion f7 ? Nulle part, elle est perdue. Avec cette qualité de moins, un roi englué au milieu de l'échiquier, les deux tours blanches sur des colonnes semi-ouvertes, même un numéro un mondial ne pourrait résister longtemps...
Mais Judit Polgar n'a pas vu 20. Cf5 ! A la place, elle a joué Fg3, qui est loin d'être extraordinaire, d'autant que les Blancs vont perdre le pion e4. Topalov ne va cependant pas tarder à se rater de nouveau. En omettant de développer sa tour de l'aile-roi, le Bulgare va manquer de carburant pour alimenter sa tentative de contre-attaque sur le grand roque de la Hongroise. Celle-ci ne va, en revanche, pas louper sa cible, avec une mise à mort que je vous propose de rejouer à l'aide du diagramme ci-contre. Les Blancs jouent et gagnent. Comment ? Débutons par l'évident 32. De7 +. La "meilleure" réponse est de loin Rb6. Suit 33. Db7 + Ra5 34. Da7 (un coup à la fois calme et fort, qui dégage la place pour le cavalier) b4 (le plus résistant) 35. Tfe1 (attaquant le cavalier) Cf3 (une erreur) 36. Tc1 (plus fort était 36. Cb7+ Rb5 37. Td6 ! qui menace Dxa6 mat : les Noirs sont obligés de lâcher la dame et vont être rapidement matés) Cxe1 38. Txc2 Cxc2 39. Rb1 et les Noirs abandonnèrent. Comme à Elista, Topalov part avec deux défaites mais à la différence du championnat du monde qui se jouait sur 12 rencontres, il ne lui reste que 4 parties pour se refaire...